Annuaire boutique
Librairie Lis-Voir
PriceMinister
Amazon
Fnac

     

 

 

 

 

 

L'Orphelin d'Anyang (c) D.R.
L’attendrissement, voire la mièvrerie intrinsèque au genre résiste au filmage (certaine déclaration de la prostituée, un peu courte : " Je ne fais pas ce métier par plaisir mais par besoin "), la mise en scène résiste aux codes universels du genre (voir ce plan impressionnant où Yanli récupère de l’argent à un guichet pendant que l’agent n’arrête pas de bruyamment tamponner des fiches invisibles à l’œil du spectateur : la bande-son informe le plus simplement du caractère administratif lourd ossifiant les passages obligés décrétés par la société). L’origine romanesque du film se fait d’abord oublier, puis revient discrètement, s’insinuant dans les intervalles et les fondus au noir qui ponctuent chaque séquence de l’œuvre, en en contrebalançant l’intérêt documentaire (la modernité comme garde-fou, tampon et jonction entre le pur romanesque et le pur document).

C’est à équidistance de ces trois modes diégétiques ou filmiques (le mélo, le comique, la modernité à tendance documentaire) qui répondent sur le versant de la forme au croisement de trois existences du point de vue du scénario que L’orphelin d’Anyang  peut vivre dans une triangulation redoublée assurant sa force, que le bébé peut attirer au sein de ce triangle humain rapidement constitué les plus vives attentions. Et l’une des plus belles fonctions qu’assure le nourrisson sera en conséquence celle de trait d’union, de raccord : entre deux êtres que rien ne devait un jour devoir rassembler, entre deux voire plusieurs modalités de cinéma. Pour que puisse enfin avoir lieu un regard.

  L'Orphelin d'Anyang (c) D.R.
Il est celui par qui le scandale arrive (la prostitution, la maternité impossible à gérer, l’argent) ; il est aussi celui grâce à qui un récit peut se nouer, offrant surtout à Dagang et à Yanli de grands moments de présence concrète qui bouleversent. Une scène de repas qui n’est pas sans rappeler Naruse succède à une autre plus en aval du film : dans la seconde, Dagang manque à l’appel, il manque au plan comme à celle qui finalement ne peut réprimer ses larmes en avalant ses nouilles, son bébé dans les bras. Yanli, par sa tristesse affectant sans effusion tout le plan, nous susurre qu’elle est désormais orpheline de cet homme, que le plan en adéquation avec les désirs de ses héros est dorénavant orphelin de son personnage.

Au bout du compte, on comprend que ce n’est pas le bébé l’orphelin promis par le titre du film (il a une mère biologique, et deux pères qui se le disputent, l’un biologique et l’autre plus d’élection que d’adoption), mais Dagang lui-même, résolument seul, sans famille alors que Si-De ne bouge jamais sans être accompagné par son escorte et le souvenir prégnant de sa mère, coordonnant son avidité de perceptions (regarder le Fleuve jaune et puis mourir) avant d’irrémédiablement basculer dans le hors-champ programmé par la leucémie. C’est encore un gag qui signe ce basculement, mais tragiquement, au détriment de Dagang, puisqu’en se bagarrant avec Si-De au sujet de Yanli, en voulant demeurer vissé dans son champ (d’intervention), il se retrouve jeté en prison, ayant probablement provoqué prématurément la mort du maquereau repenti. Dagang entôlé, Si-De disparu, le film entier dans une forme d’accélération absurde et désespérante repose maintenant sur les frêles épaules de Yanli.

L'Orphelin d'Anyang (c) D.R.
L’orphelin d’Anyang semblait s’avancer sur les brisées de Ozu. Ces plans répétés de ruelles animées le soir tombé, ce vélo immobile posé contre un mur comme figuration du mouvement bloqué et indexé au profit de la pure représentation du temps, cette séance officielle de photo même où Yanli et Dagang, leur bébé dans les bras (car il est à eux, et à eux seuls, cette propriété largement assumée n’étant que le fruit combiné, d’abord du hasard puis de leur volonté), posent comme poserait n’importe quelle famille normalement constituée (cette simulation consciente – une mise en scène personnelle que n’effacera pas la mise en scène fade du photographe professionnel, en miroir de celle de Chao que n’écraseront pas les lois d’airain du cinéma chinois professionnel – a peut-être plus de force que la représentation de façade attendue dans ce genre de situation), tout cela fait indubitablement penser au film Récit d’un propriétaire du cinéaste japonais.