En surenchérissant
formellement sur cette liquidation, le filmage ferrarien se
fonde sur l’emploi systématique du fondu enchaîné
(effet narcotique garanti comme chez le Jarmusch hip-hop de
Ghost Dog, stratigraphique comme chez le Lynch urbain
de Mulholland Drive, fantomatique comme dans les deux
derniers films de Carpenter,Vampires et Ghosts
of Mars), du gros plan au bord de l’indiscernable (par
exemple, la tôle noire de la voiture du couple sur laquelle
se reflètent les architectures de la ville semble s’allonger,
couler, pâte modelée par la caméra) et
de la sensation de flottement et d’apesanteur procurée
par une narration relâchée et distendue et une
bande-son à la fluidité toute synthétique,
rehaussée de quelques boucles chaloupées du
compositeur attitré du cinéaste, Schooly D.
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Un filmage qui épouse
en somme les rythmiques et les modulations d’un tel socius
environné par la drogue, avec pour résultantes
la sensation qui dorénavant prévaut sur le sentiment,
la sensualité sur la sensibilité dans une effet
de léthargie, au bord du stade létal définitif,
rappelant les vagues noires d’encre de The Blackout.
Ce qui a pour effet de contaminer par le doute (le motif ferrarien
du vampirisme – encore Murnau –, de la perceuse de Driller
Killer aux morsures de The Addiction)
tout ce qui passe dans le champ de vision de la caméra
de Ferrara : lorsqu’une calèche pittoresque emmenant
toute la petite famille lors d’une balade en ville passe devant
le célèbre musée Guggenheim, on en vient
à se demander subitement mais légitimement si
l’argent qui a servi à son édification est totalement
propre. Mais l’argent par effet de contamination est toujours
sale, même blanchi, même si on dit qu’il n’a pas
d’odeur.
Ce processus mis en branle
qui est un dispositif de pure vision va jusqu’à affecter
dans son entier le décorum clinquant de Noël (l’incroyable
plan, qu’on n’ose à peine imaginer pouvoir être
tourné en France, du prêtre dans l’église
qui participe au trafic) comme si, effectivement, il ne s’agissait
que d’un décor sans fond (se souvenir de la fête
macabre qui concluait Angel of Vengeance en
1981), pur simulacre dégoulinant de lumière
qui n’est plus celle, métaphysique, du soleil mais
celle, matérialiste, de l’argent comme l’écrivait
Jean Douchet à propos du dernier Kubrick (cf. " Aventure
et cinéma ", Conférences du Collège
de l’Histoire de l’Art Cinématographique 2000-2001,
p.60), à l’image des cheveux blonds platine de l’héroïne,
comme blanchis par l’argent de la cocaïne, et très
probablement brune à l’origine.
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Ferrara n’aura donc pas
fait le remake de Invasion of the Body Snatchers
de Don Siegel en 1993 sur simple commande hollywoodienne :
le commerce déshumanisant les corps, les vidant de
leur substance morale, est la seule vérité,
et le simulacre son masque d’invisibilité (les tableaux
représentant des visages de clowns, la poupée
réclamée par la petite fille et à laquelle
ressemble de plus en plus sa mère sont les signes patents
qui ponctuent la démonstration ferrarienne). Il faut
la persistance des clivages sociaux, c’est-à-dire essentiellement
raciaux, mais dont la frontière est pour le moins protéiforme
(Dominicains contre Noirs – alors que ce sont des acteurs
italiens, Drea de Matteo, Lillo Brancato Jr. et le fidèle
Victor Argo qui jouent les membres importants de cette communauté
hispanophone dont certains dans l’ombre des rues ont la physiologie
black ! – plutôt que classiquement flics
contre truands), pour dire ce qui résiste de l’amenuisement
en cours de toutes les différences, ce nivellement,
cette homogénéisation qui font la structure
idéologique du capitalisme dont le seul réel
souci est l’exploitation comme logique de pouvoir.
Eminemment politique à
l’instar du récent Bully de Larry Clark et tout
aussi incarné, R’x-mas (jeu de mot caché
derrière ce nom de code : un Noël bien à
nous mais classé X !) est un modeste film de famille
qui n’a pourtant rien à voir avec ceux que tourne au
caméscope son couple vedette, puisqu’il ré-associe
rituel et manque en tant que le premier terme s’organise à
partir du second (la cérémonie funéraire
et le frère assassiné de The Funeral,
faire un film et la femme aimée dans Snake eyes
du côté du réalisateur et The Blackout
du côté de l’acteur, noël et le kidnapping
du mari ici).
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