"THE WRONG LANE"
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Dans la première
scène, Helen discute avec une autre serveuse, venant
des cuisines et reprenant le chemin de la salle, puis la corrige
: " You’re on the wrong lane ".
D’un début d’après-midi au lendemain final,
le temps d’une longue nuit (When tomorrow comes), Helen
va devoir, elle aussi, franchir une ligne. Reculer pour mieux
sauter. Franchir une barrière sociale. Le syndicalisme,
l’idée et la volonté de grève, l’acte
de s’engager dans la grève et de la prôner, témoignent,
chez Helen, d’un premier engouement général
- individuel et social. Lors de la scène de l’assemblée,
la dizaine de femmes, se levant pour prendre la parole instantanément,
ne souligne rien d’autre : le sursaut vital, l’élan
social (ici à grande échelle), l’éveil
pour changer de condition, dans un bond vital en dehors de
soi.
Le discours d’Helen, qui harangue l’assemblée, traduit
la même ambivalence que celle de ladite scène
du restaurant. Assertive, réfléchie et réflexive,
sa revendication s’affine, se précise à mesure
que se régule la révolte en elle, qui la fait
se lever elle aussi à cette réunion syndicale.
Helen est un personnage animé par une revendication
personnelle qui s’érige en discours social. Son dépassement,
au cœur de la petite assemblée, a valeur de rassemblement.
En même temps, elle dépasse d’une part son statut
(la serveuse contre l’ordre dominant) et touche à une
plénitude provisoire (elle est reconnue aux yeux des
autres). D’autre part, elle s’accomplit elle-même en
agissant contre le cours des choses. Travailleuse et amoureuse
gréviste, du moins intermittente, elle y parvient en
s’engouffrant dans un désordre passager, en frayant
avec l’inconnu, l’homme et la grève.
Avertie par deux garçons fonçant droit sur eux
dans une poussette, Helen s’extirpe quelque peu du moment,
de sa position ; se met sur sa droite quand passe la
petite voiture, puis se remet à sa place initiale.
Accomplissement d’un geste anodin, cet écart traduit
un passage ou recul latéral, une distance vis-à-vis
de la situation, une promenade avec le pianiste. Cet écart
va devenir la figure charnière de When tomorrow
comes, rituel d’une remise sur les rails, qui s’effectue
en vue d’un danger environnant, contextuel, mais qui ne perturbe
pas pour autant l’amour en cours.
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Le bond en dehors
de soi procède en premier lieu d’un recul du personnage
sur lui-même. C’est-à-dire d’un constat sur sa
personne qui fait part de lucidité et clairvoyance.
A la question formulée par Philippe " Pourquoi
de telles pensées dans une si jolie tête ? ",
Helen répond d’abord à la vue de la poussette
qui termine sa course dans un muret, qu’il s’agit d’un symbole
de l’époque, en forme d’apologue, " le capitalisme
au volant, l’ouvrier qui perd son pantalon. " Au
constat actuel, elle ajoute ensuite, en rapport avec son environnement
naturel, son territoire social : " Il suffit
d’être née de ce côté-ci de la barrière. "
Wrong, right lane, ligne continue, ligne de
rupture : autant de mots pour séparer l’espace
scénique (où se tient Helen et Philippe) de
sa ligne de démarcation (la barrière).
A nouveau, le contexte social (la lutte de l’ouvrier contre
le capital) ne se situe pas en dehors de la séquence,
repoussé dans un proche hors-champ, mais s’introduit
sur scène et contamine la discussion. Helen prend
en compte la société comme celle-ci la prend
(mal) en compte. Double mouvement du personnage : sa
réponse personnelle englobe la société
et elle, si elle s’y inclut, la regarde encore de loin.
Helen est un intermède géographique, un rond-point :
elle participe, agit tout en pivotant sur elle-même
et s’auto réfléchit dans l’acte. Si elle ne
dépasse pas la ligne qui la ferait prendre conscience
du moment (elle est inhumaine, rappelons-le), Helen parvient
tout de même à se concevoir, presque à
s’observer. Dans la scène du ponton, elle se penche
sur la rampe, contemple, observe avec recul et lucidité
la situation sans perspective qui se présente à
elle. Philippe énonce la ligne directrice du personnage
d’Helen (un des fils rouges de notre étude), qui tend
à une plénitude et à une liaison que
vont venir perturber plusieurs éléments
du mélodrame : " Il faut toujours aller
tout droit (You must always go ahead), ne pas renoncer. "
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