THE RIGHT LANE
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Soit la longue séquence
de l’orage dans la maison du pianiste, ou scène du
déluge. Un premier travelling les rapproche dans le
salon, quand ils y entrent pour regarder l’orage. Un deuxième
travelling personnifie l’entrée progressive d’Helen,
revenant des étages, dans la grande pièce. A
deux reprises, le travelling apparaît comme un bond
en avant, chez John M. Stahl, une avancée vers l’autre,
en dehors de la fixité de l’instant, qui devance le
cours des choses. Dans l’ample mouvement du second travelling
se lit une fusion des éléments, l’alchimie entre
le dehors (le déluge) et le dedans (le déluge
des sentiments). Et c’est véritablement lors du déluge
et dans la musique qu’Helen prend conscience du sentiment
amoureux. Le discours musical (l’orchestre) échange
avec le discours amoureux (les solistes). On ne sait plus
si le dehors (le vent, les arbres fouettés devenus
instruments) couv(r)e violemment le dedans (une autre trame
musicale) ou si le dedans baigne dans le dehors. En accompagnant
la scène tout en fonctionnant comme un contrepoint
musical, l’accident naturel imite et redouble l’accident amoureux.
" La musique nourrit l’amour " (comme
le dit le prêtre), elle porte l’affect à incandescence.
Les amants s’accordent donc avec le tumulte extérieur.
Avec l’irruption du musical (la voix d’Helen, le piano de
Philip) dans le mélodrame, on dénote, au passage,
un effet de mimétisme entre la parole ou le chant et
la pensée : " Mon bien-aimé,
venez à moi. " Chez John M. Stahl, " sous
la voûte étoilée " de la nuit
pointe la charge brûlante et mystique de la note musicale.
Cette veillée d’amour (titre français
de When tomorrow comes) est une veillée funèbre.
Mais dans sa grave gestuelle, sa prière devant les
cieux, Helen procède moins à une procession
mortuaire qu’à une procession du deuil amoureux. Restituons
d’où provient cette aspiration à la spiritualité :
l’automobile dans laquelle Philip raccompagne Helen est bloquée
par l’ouragan, le couple se réfugie dans une église
déserte, Helen prie. Menacé par l’inondation,
ils montent à la tribune (même dans un espace
insulaire, ils sont envahis) où Philip joue de l’harmonium ;
le dialogue fait alors au Déluge et à la fin
du monde. Cette catastrophe n’est pas un obstacle, contrairement
à la foule, barrière humaine. Mais dans le mélodrame
surgissent des obstacles au bonheur dont les phénomènes
(catastrophes naturelles) semblent ici similaires. Guerre
ou tempête, il s’agit " de ce que les compagnies
d’assurance anglo-saxonnes désignent comme act of
war ou act of God " (1), d’inspiration
divine. Crue des eaux et allusion directe d’Helen à
la Bible : " Dans la Bible, il y en a une [tempête]
qui a duré quarante jours et quarante nuits. "
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Mais au déluge
biblique de quarante jours, John M. Stahl loue en réponse
une métaphysique circulaire, une croyance à
l’éternel retour de l’identique (un refus de se soumettre
à la problématique du temps). " But
when morning comes… / We must say good bye anyway. " Un
glissement s’opère : ce qui semblait un obstacle inopportun
(la tempête) devient révélateur de l’indicible,
passage nécessaire des affects et moment de plénitude.
Dans l’épisode du " déluge ",
le contexte de la tempête, l’environnement dangereux
nourrissent l’amour du couple. Pathetic fallacy, ainsi
que fusion du moment présent et de l’accidentel, qui
suggèrent un providentiel anthropomorphisme des éléments
naturels.
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