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  Etre et avoir (c) D.R.
La caméra, si elle n’est pas nommée, existe délibérément à l’image, les enfants lui adressent plusieurs regards tour à tour joueurs, complices ou inquiets, sans pour autant prendre sa présence à partie. Chaque personnage sans commentaires superflus défend un idéal. Filmer un enfant qui rêvasse le regard perdu devient alors plus intéressant que tous les discours pédagogiques. L’école devient le lieu qui permet de concilier les aspirations individuelles et sociales.

Cette fonction donnée à l’école s’incarne dans le personnage de l’instituteur : M.Lopez. Sa silhouette, et sa voix posée sont les clefs de voûte du film. Le maître est l’un des funambules du savoir qui passe d’un élève à l’autre, les comblant de son savoir et de toute son attention. La silhouette du maître est toujours à hauteur des enfants, il ne domine en aucun cas l’action ni la dirige, il partage chaque cadre avec les enfants. Ses mots délicatement choisis pour ne pas blesser et son ton de voix sont une précision de chaque seconde. Ils mettent en lumière chaque séquence et laissent les contre-champs , les réponses des enfants, comme autant de points de suspension sans réponses.

Nicolas Philibert laisse deviner derrière chaque mot chaque hésitation les gouffres et les questionnement de Georges Lopez. Pour la première fois, la voix de Nicolas Philibert dans la peau de l’interviewer, se permet une incursion dans le récit. Lors d’un entretien,  M.Lopez se raconte face à la caméra, dans le jardin de l’école. Cette fois au même titre que ses élèves, le maître adresse son regard à la caméra, fixe.

Etre et avoir (c) D.R.
Le choix de cette distance face à la narration, se traduit tout d’abord par le choix du lieu : le jardin de l’école. Les non-dit devinés tout au long du film prennent alors forme. Il évoque sa fonction d’instituteur, sa retraite proche avec pudeur. Lentement rythmé par la bande son, les bruits du jardin de l’école , le bruissement des arbres, le souffle du vent, demeurent les symboles du monde extérieur et du temps qui s’égrène.

L’attente formulée par la mise en scène, selon laquelle cette séquence devrait être une confrontation entre les deux fonctions du personnage dans le monde extérieur et intérieur, est faussée par la sincérité et l’implication de George Lopez. Hors des murs de la classe, il apparaît alors étrangement seul, tout en demeurant l’instituteur.

C’est dans la distance brisée par ce personnage, que s’incarne la forme d’engagement et la pratique militante chère aux documentaires de Nicolas Philibert.

Tout comme pour leur maître, le jardin devient pour les élèves le lieu d’acclimatation avant le départ pour un monde extérieur inconnu.

L’arrivée du printemps est, au sens dramaturgique, le début du compte à rebours pour la fin de l’année scolaire. Les accumulations de situations, de doutes, d’inquiétudes des enfants vers un inconnu grandissent à l’approche de la fin de l’année. Le jardin devient le lieu des confidences à M.Lopez. Les séquences se placent éparses dans le récit, tout au long des derniers jours de classe.

  Etre et avoir (c) D.R.

La mise en scène de la séquence consacrée à l’instituteur devient le prototype de chaque séquence consacrée aux enfants partant pour le collège : même position pour chaque enfant, même valeur de plan, caméra fixe, et même distance pudique face aux confidences. La camera laisse alors l’enfant se dévoiler face à M.Lopez.

Chaque visage découvert dans l’école, révèle un secret insoupçonné. Les séquences suivantes soulignent la subjectivité des images précédentes, apparemment légères et insouciantes. Les regards adressés au maître se muent alors en questions à la recherche désespérée de réponses. Le calme ambiant devient le moteur d’interrogation non résolu.

Le cours du récit laisse l’extérieur gagner du terrain progressivement ; les pupitres sont installés dans la cour de l’école par beau temps. Les valeurs de plans varient de plans rapprochés à des plans de plus en plus larges qui perdent littéralement les visages et les identités des personnages. Seule la présence de la silhouette de M.Lopez, au loin, demeure imperturbable.