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  The Big Shave (c) D.R.

Dans le même ordre d’idée, et parallèlement à cette utilisation musicale " multi-temporelle ", certaines mises en scène de Scorsese dans Gangs of New York évoquent différentes périodes de l’histoire américaine, avec des échos visuels à certaines photographies célèbres de la guerre du Vietnam notamment. Et l’ouverture même du film, avec cette scène de rasage, est une citation ouverte à The Big Shave (1967) que Scorsese réalisa contre la guerre du Vietnam - avec la chanson " I can’t get started " de Bunny Berigan de 1939, début de la seconde guerre mondiale, deux guerres associées par Scorsese à travers l’emploi musical.

Comme le souligne à juste titre Gilles Mouëllic (auteur de Jazz et Cinéma, Ed.Cahiers du Cinéma, 2000) : " dans les films de Scorsese, la musique n'est pas seulement sujet. Scorsese multiplie les citations du répertoire de la musique populaire d'un moment de l'histoire des Etats-Unis (…). Loin de ces longs métrages où la nostalgie et le charme de la désuétude composent une vie rêvée de l'Amérique et de ses tourments (…), Martin Scorsese parvient à transcender cette dimension mélancolique en donnant à la musique un rôle autrement essentiel. " La musique chez Scorsese n’est peut-être en effet pas qu’un miroir réfléchissant de l’Amérique, mais, dès lors, son " rôle autrement essentiel " ne serait-il pas précisément le goût de Scorsese à mélanger les époques et les styles musicaux dans le but ultime de traiter du présent ?

The Last Temptation of Christ (c) D.R.
Car, ironiquement, Gangs of New York n’a " d’anachronique " que son fort rapport au temps présent et au pays même qu’il nous montre à l’image. Faux décadrage musical pour film d’époque, comme Scorsese l’avait déjà plus ou moins dessiné pour The last temptation of Christ (1988) et Kundun (1997). Un " déraillement " toujours en adéquation avec le propos et le récit. Car c’est probablement ce rapport musical au présent qui fait la spécificité même du cinéma de Martin Scorsese. Dire que celui-ci utilise la musique pour marquer une ambiance et le cadre spatio-temporel de ses films (souligner la réalité d’une époque avec des musiques d’époque) serait éminemment réducteur. Scorsese affirme :

"Trop souvent, on n'utilise la musique que pour définir une tonalité générale ou pour situer historiquement un film - en d'autres termes, on la réduit à de la décoration. Personnellement, je n'y ai jamais pensé de cette façon. Dans Mean Streets [1973], par exemple, la musique est plus ancienne que la période du film, car c'est celle que les personnages préfèrent : donc, au lieu d'écouter les tubes de 1973, ils se délectent de Johnny Ace ou des Ronettes. " (2)

Pour Taxi Driver (1975) se posait aussi cette question. Scorsese ne souhaitait pas non plus de musique pop ou rock de 1975 dans son film, mais une partition jazz et classique (ultime témoignage du génie Herrmannien) pour faire un pont avec un cinéma passé (ce sera aussi le cas avec Cape Fear, Scorsese 1991) et avec une époque passée (ce passé peu glorieux et occulté par le personnage principal du film). Scorsese joue des anachronismes comme autant de décalages, de marges, de " double-fonds " et de hors-champs révélateurs de la psychologie des personnages et du rythme intrinsèque du film. Le présent musical.

  Taxi Driver (c) D.R.
" J'ai toujours eu beaucoup de chance avec les compositeurs avec qui j'ai eu l'honneur de travailler ", confesse Scorsese." L'une des clés musicales de Taxi Driver, c'est que Travis [Robert De Niro] n'écoute jamais rien - il est complètement seul. Bernard Herrmann a magnifiquement capté cette sensation de solitude extrême, d'exclusion. Il avait d'abord refusé de composer la partition, en me disant que ce n'était pas son genre de film, mais quand il a finalement lu le scénario (il a adoré la scène où Travis verse de l'alcool de pêche sur ses cornflakes), il a alors accepté. "**

Martin Scorsese l’a répété à maintes reprises, nous ne pouvons pas comprendre vraiment ses films si nous n’écoutons pas la musique qu’il y utilise. En 1987, un journaliste de la Revue du Cinéma lui dira à juste raison : " Vos mises en scène ne se comprennent souvent que si elles sont abordées sur un plan musical. " Et Scorsese de répondre : " C'est le plus beau compliment que vous puissiez me faire et c'est vrai. C'est très conscient de ma part. " (3) Un rapport total à la musique que le cinéaste entretient depuis toujours, depuis une enfance marquée par les rues de Little Italy :