2. Confondre le discours
" public relation " des entreprises
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La phase de dialogue est
presque immanquablement précédée d’un
moment de prise de contact souvent difficile. Une figure constante
des films de Moore consiste en une tentative désespérée
de pénétrer un espace interdit. Il s’agit de
la preuve physique, visuelle, que le siège des grandes
entreprises est aussi protégé qu’une banque
ou une base militaire : derrière le discours jovial
de " l’entreprise proche des gens " se
cache une réalité bien différente, fruit
du pouvoir et de la propriété privée.
La résistance s’opère toujours à deux
niveaux : dans un premier temps, les vigiles repoussent avec
plus ou moins de bonhomie l’équipe de tournage hors
de la place, puis, si Moore insiste, on voit arriver la directrice
de la communication ou des relations publiques, tout sourire,
expliquer que " non, Mr X est très occupé
et ne pourra pas vous recevoir aujourd’hui, mais le message
sera transmis... ".
Il s’agit alors de se confronter à ce discours de façade,
toujours conciliant et charmeur, qui masque des réalités
plus brutales. Souvent, la discussion se termine par un échec,
l’entreprise reste sur ses positions et ne fait même
pas mine de céder; la fausseté de son discours
(contraire à la réalité des faits) apparaît
de manière criante. Parfois, comme c’est le cas dans
Bowling for Columbine lors de la " prise "
du siège de Wall-Mart, la tentative d’obtenir justice
semble aboutir - l’entreprise assure qu’elle va retirer de
la circulation, toutes les munitions vendues dans ses magasins.
La séquence prend alors valeur d’exemple pour Moore
que l’on devine persuadé que l’action collective peut
parvenir à faire plier la volonté privée
- à moins qu’il ne s’agisse d’une illusion nécessaire
au moral des troupes.
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Dans un épisode
mémorable de " TV Nation ", Moore
découvre qu’une vaste portion de territoire (une grande
plage de la côte Est et ses environs) a été
" privatisée ", l’accès
étant interdit à toute personne non résidente.
Il arrive avec un car de jeunes gens venus de la banlieue
New Yorkaise et cherche à pénétrer ce
sanctuaire interdit. D’abord refoulé par les nombreux
vigiles qui surveillent l’entrée, Moore et ses compagnons
finissent par accoster sur la plage en bateau. Les visages
de haine des résidents nantis alors plus significatifs
qu’aucun discours et ces derniers ne cherchent pas à
faire bonne figure pour la télévision, ils sont
prêts à saisir le fusil. Leur argument laisse
songeur, " Vous n’avez qu’à acheter ici et
payer des impôts si vous voulez profiter de la plage "...
3. Montrer ce que cache le discours
médiatique : son " hors-champ. "
Qui aurait jamais entendu parler
de Columbine, Colorado, si un massacre sanglant ne s’y était
produit ? Une séquence frappante du film montre les
équipes de télévision accourues de tout
le pays pour rendre compte de la tuerie en une demi-journée,
fabriquer rapidement un discours emphatique dénué
de toute analyse, puis reprendre le premier avion pour New
York ou Los Angeles. Dénoncer la précipitation
des médias et leur incapacité fondamentale à
rendre compte de l’expérience humaine d’une manière
utile est une banalité. Moore n’y consacre pas plus
d’une minute de son film et préfère mener sa
propre enquête, avec le temps d’investigation et de
réflexion propre au cinéma. C’est là
une démarche beaucoup plus classique du documentaire.
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La singularité
de Michael Moore est qu’il préfère atteindre
le " réel " du monde par le " collage "
de fragments hétérogènes plutôt
que par l’immersion dans un lieu unique, qui caractérise
par exemple la démarche de Frederick Wiseman, son illustre
collègue. La visite d’une usine d’armement du voisinage,
les extraits d’un dessin animé militant ou l’interview
de Marylin Manson - qui évoque avec justesse le lien
de causalité entre la peur et la consommation - sont
autant de façons complémentaires de poser la
même question (Pourquoi la violence ?) en la rendant
productive, c’est à dire en l’articulant à une
vision globale de la politique. Moore suggère ainsi
que les causes immédiatement identifiables du massacre
(et identifiées par la télévision) ne
sont pas les plus importantes mais que cet événement
tragique offre l’occasion unique de réfléchir
à la nature profonde de la société américaine,
de son histoire et de ses hantises.
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