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" Le verre (…) est un matériau dur et lisse sur lequel rien n’a de prise. Un matériau froid et sobre, également. Les objets de verre n’ont pas d’aura. Le verre, d’une façon générale, est l’ennemi du mystère " écrivait Walter Benjamin en 1933 au sujet de L’Architecture de verre de Paul Scheerbart (In Œuvres II, Gallimard Folio essais, 2000, p. 369) . Si la vitre permet, en soulignant la spectacularisation en cours de l’espace intime que poursuivent aujourd’hui les téléphones portables et les webcams, de renouer avec le cinéma muet (Manoel De Oliveira dans Je rentre à la maison en 2001 procèdera pour certaines séquences de la même manière), elle distingue aussi cette logique de réversibilité qui voit l’extinction du lieu en tant qu’espace de durée (la demeure) pour devenir celui d’un passage de moins en moins long à pratiquer et qui ressemble de plus en plus à une salle d’attente.

  Alain Resnais (c) D.R.

La Ville comme antichambre ou purgatoire d’une humanité en voie de devenir ectoplasmique fait songer à une vaste fourmilière. Et justement sur ce point Alain Resnais apprit un jour que " dans la fourmilière 30 % des fourmis font mine de s’activer mais ne foutent rien d’autre que s’agiter pour donner l’impression d’abattre un travail épuisant " (in Positif, n°442, décembre 1997). On pense inévitablement au majordome du Royal Garden dont la stricte fonction est de surveillance et de représentation, le simulacre rôdé et virtuose de l’intense dévouement et de l’inlassable activité au service du client-roi. Aujourd’hui la Ville est le lieu même de ce trafic, de cette Comédie du Travail (qui est aussi le titre et le sujet du film d’un cinéaste tatien, Luc Moullet).


Reproduction-consommation :
la (grande) surface et la répétitivité.

" Cet immense système de sollicitude vit sur une contradiction totale. Non seulement il ne saurait masquer la loi d’airain de la société marchande, la vérité objective des rapports sociaux, qui est la concurrence, la distance sociale croissante avec la promiscuité et la concentration urbaine et industrielle, mais surtout la généralisation de l’abstraction de la valeur d’échange au sein même de la quotidienneté et des relations les plus personnelles (…) Destiné à produire de la sollicitude, il est voué à produire et à reproduire simultanément de la distance, de la non-communication, de l’opacité et de l’atrocité " (" Playtime, ou la parodie des services " in Jean Baudrillard, La Société de la Consommation, Paris, Gallimard, 1970, p.258).

Mon Oncle (c) D.R.

L’humanité de Play Time est fonctionnelle, dépersonnalisée, standardisée. Elle se meut selon des trajectoires programmées dans l’imbrication supposée performante d’espaces de fonctionnalité que visite de façon impavide cet éternel étranger, ce touriste, ce vacancier qu’est Hulot, notre guide angélique, notre semblable, notre frère céleste (l’aéroport qui ferme Mon Oncle et qui ouvre Play Time), notre boussole dans l’enfer glacée de notre modernité. Il est une " velléité de personnage " (Michel Chion) qui paraît toujours en porte-à-faux là où il se trouve, éternel déplacé dont la passivité signe en dernière instance sa résistance opiniâtre à toute incorporation violente (l’armée qui sert pour deux anciennes connaissances à se rappeler à lui, l’armée comme processus d’intégration et de socialisation, comme le seul souvenir d’une histoire commune, l’armée comme vérité définitive d’un monde ordonné jusqu’à l’asphyxie, l’armée c’est déjà loin, c’est toujours là).

Révélateur malgré lui de l’entreprise d’homogénéisation totale qui se joue là, sur lui, contre lui (un burlesque est toujours un paranoïaque : c’est le monde ou lui !), Hulot est, erre, flotte, poussière archaïque d’une humanité passée que les aspirateurs (avec phares !) du modernisme, de la fureur du tout technologique, ont pour tâche d’engloutir. Si l’enrégimentement suinte de partout, Hulot passe quand même au travers des gouttes.

Même son unicité est noyée dans le flot continu de la valse de ses doubles surprises (Hulot cloné !). La seule chose d’unique ici c’est le film, grande surface profonde artistiquement, impossible à reproduire esthétiquement et qui aligne cube scénographique sur cube scénographique en démontrant la stratégie publicitaire (cette culture massifiante et itérative) qui les gouvernent. Une colonne grecque présentée dans un stand ? En fait c’est une poubelle pratique et amusante ! Même les rats ne sont ici que des simulacres de fourrure bons pour les femmes du monde (il n’y a pas d’autre animal que l’espèce humaine dans Play Time). C’est l’utile qui, rejoignant l’agréable, trace la ligne d’horizon désespérément plate d’une société vouée à être assignée aux lois de la consommation, aux valeurs suprêmes d’usage et d’échange.