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  Les Vacances de M. Hulot (c) D.R.

C’est pourquoi le célèbre parapluie de Hulot, véritable extension organique, lui sert à beaucoup de choses : c’est une canne qui lui permet de ne pas tomber (mais aussi une épée de chevalier courage, des ailes d’ange qui l’empêchent de voler, etc.). A tout donc sauf à se prémunir d’une pluie imminente qui ne viendra pas, malgré le ciel qui ouvre Play Time, lourds de nuages gris. Subversion de Tati : cet objet ne se définit plus par rapport à la fonction première qui le constitue en tant que parapluie, son existence technique est emmenée par Hulot au-delà de sa stricte définition fonctionnelle. De toute façon ici, il ne pleut pas. Pire, il ne pleut plus. Il faudra attendre la fin de Trafic pour qu’un crachin promis par le parapluie de Hulot ait enfin lieu, modeste épiphanie dans un monde qui en est singulièrement dépourvu (dans ce film il n’y a presque plus d’enfants), préférant les joies calculées d’un feu d’artifice consumériste et technologique que Hulot dans Les Vacances de M. Hulot lançait (maladroitement pour lui, significativement pour nous) trop tôt, ruinant par avance l’effet factice d’événement promis par le pétaradant gadget.


Le dur et le mou :
la volatilité du gag et la distribution centripète du son.

" L’activité de l’ethnologue de terrain est dès le départ une activité d’arpenteur du social, de manieur d’échelles, de comparatiste au petit pied : il bricole un univers significatif, au besoin en explorant (…) des univers intermédiaires "
Marc Augé, opus cité, p. 21-22

The Crowd (c) D.R.

La seule arme dont dispose Tati en tant que metteur en scène cette fois-ci, c’est la modernité esthétique qui, non pas disqualifie les injonctions et les codes institutionnalisés par ce haut-lieu, ce parangon dur et massif de la nouvelle socialité-sociabilité (autrement dit plus efficace, plus productive, directement connectée à la grande machine de production marchande) qu’est la Ville (Paris, cité anonyme et internationale, semblable à n’importe quelle autre métropole) mais chercherait plutôt par son formalisme pointilleux à lui faire rendre gorge, à l’exténuer en la sur-signifiant de détails plus insolites les uns que les autres.

La mollesse ontologique de Hulot (son chapeau gondolé, son parapluie flottant, son imper froissé, son visage souple, ses velléités professionnelles) contredit par l’élasticité de son être la matérialité indestructible de structures de socialisation comme des discours rigides qu’elles contiennent. Que peut le dur lorsque le mou, signe même de l’enfance, est si peu unifiant ?

Si Play Time est l’anti-Metropolis par son refus de tout alarmisme ou catastrophisme idéologiquement suspect, il serait plutôt une sorte de suite à The Crowd (1928) de King Vidor (mais un The Crowd sans la tragédie américaine de l’individualisme et du sujet) ou alors de Modern Times II dégraissé d’une dramaturgie de la violence technologique trop voyante (et la parenté des titres n’est, semble-t-il, pas une coïncidence) comme s’il avait été réalisé par un Buster Keaton dans la continuation de son œuvre (on pense à son court métrage Electrical House en 1921) (2). Comme chez ce dernier, on ne se moque des objets qu’à condition de les inventer soi-même en leur impulsant des intervalles élastiques de jeu à l’intérieur de leur codification d’usage : la critique se fait à ce prix, en mettant directement la main à la pâte. Il s’agit quand même de se faire au moins aussi intelligent que l’intelligence artificielle dont on cherche à décortiquer les mécanismes dominants, à détailler les circuits fondamentaux, à déconstruire l’idéologie qui l’habite (et la meilleure arme de celle-ci est de se cacher dans ses plis les plus fins, les plus ramassés).