…à l’heure de Paris…
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Le temps n’est qu’un motif. Le temps
n’a aucune prise sur les héros des films de Tsai Ming-Liang
qui ne sont que mouvement, action. Ils sont entièrement
inscrits dans le présent. Ils n’ont pas d’âge. Leur statut
social, seul, les différencie. Et encore, la marge de manœuvre
est assez réduite. Il y a, en tout et pour tout, deux catégories
de personnages : les parents qui sont des faux adultes,
tous les autres qui sont des faux adolescents.
La mère, Lu Yi-Ching, a un corps de jeune fille. Elle est
pleine d’énergie. Ses pulsions ne se sont jamais éteintes.
Le père, Miao Tien, porte, quant à lui, en permanence, un
masque. Qui sait ce qui se cache réellement derrière ses
traits de conventions ? Tsai Ming-Liang observant son père
à la fin de sa vie déclare avoir été surpris par la métamorphose
de ce dernier. Le vieil homme à la forte personnalité pleurait
parfois pour un rien comme un enfant (Tsaï Ming-Liang,
Editions Dis Voir).
Dans Et là-bas…un des personnages / comédiens principaux
de Tsai Ming-Liang fait une très brève apparition. Dans
Les Rebelles du dieu néon, il était le rival de Lee
Kang-Shen, dans Vive l’amour, il était son fantasme.
Dans La Rivière, il tenait le rôle d’un gigolo, amant
du père, prolongement de Lee Kang-Sheng, le fils. C’est
Chen Chao-Jung. On a bien du mal à le reconnaître. Entre
Les Rebelles du dieu néon et Vive l’amour,
il avait grandi, minci. Cette impression était renforcée
par la transformation de sa coiffure. Le jeune homme, découvert
les cheveux courts, avait désormais les cheveux longs. Dans
La Rivière, l’inévitable mutation était confirmée,
mais elle semblait avoir stoppé définitivement sa progression.
Peut-être parce qu’il avait de nouveau les cheveux courts.
Dans Et là-bas…, il a tout bonnement vieilli. Usager
du métro parisien, il fixe un long moment Chen Shiang-Chyi
debout sur le quai, en face de lui. Il est irrésistiblement
attiré par elle. Le vecteur de toutes les passions est brusquement
relégué au rang de contemplatif. La fonction de Chen Chao-Jung
est inversée. Tsai Ming-Liang peut le filmer sans équivoque.
Chen Chao-Jung n’est plus un héros. Le métro arrive. Chen
Chao-Jung disparaît. Et l’on se surprend à penser que l’on
ne le reverra plus jamais sur un écran de cinéma.
…quelques péripéties qui
semblent mystérieusement liées à Hsiao Kang.
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La chute du film, l’apparition du
père (5),
dans le jardin des Tuileries, vêtu d’un costume occidental,
tiré à quatre épingles, veillant sur la jeune touriste endormie,
récupérant à l’aide d’un parapluie sa valise flottant dans
un bassin (6)
semble sceller définitivement le destin de
Hsiao Kang et de Chen Shiang-Chyi, mais n’oublions pas qu’il
s’agit là d’une fantasmagorie. C’est une sorte de règlement
de compte improvisé avec la mort, thème central de Et
là-bas…A vrai dire, il serait bien difficile d’expliciter
totalement ce moment de grâce empreint d’une indubitable
sérénité.
Les films de Tsai Ming Liang sont une succession d’éléments
mis bout à bout. Leur intensité prime sur leur signification.
Ils sont le résultat d’un jeu subtil, permanent, avec la
réalité, le hasard, le concret, la part de mystère que renferme
chaque chose. Les faits les plus anodins sécrétant les images
les plus folles nous transportent au plus près de la vie.
Notes à propos d’un extrait
de la bande sonore du film Les Rebelles du dieu néon
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L’enregistrement servant de base
à ces notes a été réalisé le 2 octobre 2001, à Paris,
au cinéma Le Champollion (salle 1, séance de vingt
heures). Il restitue, dans son intégralité, l’univers
sonore des vingt-huit premières minutes du film de Tsai
Ming-Liang Les Rebelles du dieu néon, depuis
l’apparition de Chen Chao-Jung (Ah-Tze) entrant dans une
cabine téléphonique en compagnie de son coéquipier et
ami jusqu’à la mystérieuse transe de Lee Kang-Sheng (Hsiao
Kang, supposé être la réincarnation du prince Ne Cha),
au sortir de la salle de bain familiale, devant ses parents.
Les prises de son du film Les Rebelles du dieu néon,
œuvre réalisée en 1992, ont été effectuées par Hu Ting-Yi.