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Le document dont nous disposons, d’une durée de vingt-huit minutes, renferme à lui seul trente-deux scènes dont certaines sont constituées de plusieurs plans. Ce qui est tout à fait significatif de la manière dont Tsai Ming-Liang cinéaste (7) (Avant de tourner Les Rebelles…Tsai Ming-Liang a été scénariste. Il a réalisé par ailleurs des téléfilms. Mais, à l’origine, c’est un homme de théâtre. Entre 1981 et 1984, il a écrit quatre pièces. Il a mis en scène trois d’entre elles en intégrant la projection de films huit millimètres sur une toile blanche ou de la musique (jamais lorsque les comédiens s’expriment, seulement entre les différents tableaux). En 1998, il a assuré la mise en scène chorégraphique d’une adaptation de La Bonne âme de Setchouan de B. Brecht. ) élabore ses mises en scène. Les Rebelles du dieu néon est le premier long métrage de Tsai Ming-Liang. Si l’on compare cette œuvre à celles qui ont suivi (Vive L’Amour, La Rivière, The Hole, Et là-bas quelle heure est-il ?), on constate que son approche cinématographique est restée, à quelques nuances près, la même (8).

  Les Rebelles du dieu néon (c) D.R.

Il se passe beaucoup de choses dans Les Rebelles…, le scénario est riche en rebondissements et chaque événement a son importance. De plus, tout y est source de mouvement. Tant les personnages, que les objets, les choses qui les entourent. Cependant, bien que regorgeant d’action, le film est assez lent : l’enchaînement de scènes courtes découpées très précisément permet au réalisateur d’aller à l’essentiel. Parallèlement, l’intensité des images qu’il nous propose semble limiter l’étirement du temps (9).

La parole, dans l’extrait des Rebelles…dont nous disposons, est presque inexistante (10). Cette spécificité est valable pour la totalité du film. Sur les trente-deux scènes enregistrées, cinq seulement renferment des dialogues. Quelques phrases lancées à un interlocuteur restant sans réponses (scènes 19, 22), des cris (scènes 14, 15, 16, 24) des soupirs (scène 9), des pleurs (scène 31), les incantations d’une prêtresse bouddhiste (scène 26), une chanson suivie du speech d’un présentateur retransmis à la télévision (scène 28), le cours d’un professeur (scène 11) ponctuent un certain nombre des autres scènes. Toutes sont reliées par le bruit de l’eau, de la circulation, des machines à sous qui sont avec le silence les éléments principaux de l’univers sonore des Rebelles... et de la plupart des films de Tsai Ming-Liang.


…le bruit de l’eau…

Les Rebelles du dieu néon (c) D.R.

Un rideau de pluie s’abat sur l’asphalte. Deux adolescents entrent dans une cabine téléphonique (scène 1). Hsiao Kang est dans sa chambre, assis à son bureau. Dehors la pluie continue de tomber (scène 2). Chen Chao-Jung est chez lui. L’appartement est inondé. En le parcourant dans l’indifférence la plus totale, il fait des clapotis (scènes 9 et16). Un robinet est ouvert (scène 27), une chasse d’eau tirée (scène 31).


…de la circulation…

Couvrant la toute première parenthèse musicale du film, le brouhaha du trafic enveloppe durant quelques secondes la septième scène des Rebelles... comme une immense vague, un bruit ample, métallique. Pourtant, c’est le ciel qui est filmé. Le voile bleuté du jour qui se lève cède la place à une constellation de points lumineux : les lumières de la ville. Trois scènes plus tard, la rue s’étale cette fois sous nos yeux : bus, voitures, klaxons (que l’on retrouve scènes 15, 18, 24), passants qui courent. Le coup de sifflet strident d’un agent de la circulation retentit. Il renvoie à d’autres interventions sonores particulièrement inquiétantes : la sonnerie d’un réveil qui met un terme à la masturbation de Chan Chao-Jung (scène 7), le bip incessant du camion de la fourrière qui emporte on ne sait où les scooters entassés devant un lycée (scène 14), le claquement d’un objet bizarre utilisé lors d’une cérémonie religieuse censée protéger un enfant des mauvais esprits (scène 26). Le père de Hsiao Kang est chauffeur de taxi. Il est sans cesse confronté au trafic (scènes 15, 18, 22, 24, 25). Hsiao Kang a quitté sa boîte à bac ; livré à lui-même, il erre dans la ville, ruche en ébullition (scène 10). Chen Chao-Jung et son coéquipier vont et viennent dans les ruelles remplies de boutiques, de restaurants, ayant en tête la réalisation d’éventuels larcins (scène 3). La jeune fille éprise de Chen Chao-Jung travaille dans une patinoire. Les pieds ferrés de ses clients griffent la glace sur des musiques acidulées diffusées par des gros haut-parleurs surmontant la piste (scène 32). Chen Chao-Jung transporte sa future petite amie sur sa moto. Il roule sur le périphérique à toute vitesse (scènes 20, 23, 24). La jeune fille est plaquée contre lui. Tous deux sont enveloppés par le bruit du moteur. Cette image sublimée de la réussite va traumatiser à jamais Hsiao Kang. Le couple qu’il croise par hasard sur son chemin, en compagnie de son père, est un leurre. Tout comme les coups d’accélérateur qui traversent ses tympans, à cet instant, sont un simulacre de liberté (11).