…les machines à sous…
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L’argent est l’une des préoccupations
majeures des héros des Rebelles... Chen Chao-Jung
et son coéquipier vivent de petits vols (scène 1). En quittant
sa boîte à bac Hsiao Kang sait qu’il va récupérer une partie
des fonds versés par ses parents en début d’année. Il tient
bon face aux questions des administrateurs de son établissement
scolaire (scène 11). Tous trois occupent leur temps devant
des écrans de jeux vidéo, caricatures de la vie aux sons
répétitifs, déformés. Le reflet de leurs visages impassibles
disparaît lorsque les machines se mettent en marche. Leur
désespoir et leur ennui sont alors engloutis par un bruit
assourdissant (scène 3).
…avec le silence…
Il pleut à verse. Hsiao Kang est confiné dans sa
chambre totalement silencieux. Les gouttes d’eau qui heurtent
les vitres perturbent sa rêverie (scène 2). Chen Chao-Jung
allongé sur son lit plaque un oreiller sur son visage. Son
frère fait l’amour dans la pièce à côté. Les soupirs du
garçon et de la jeune fille l’empêchent de dormir et en
même temps éveillent son désir (scène 9). Il se masturbe
en silence (scène 12). Chen Chao-Jung se retrouve dans un
ascenseur avec la petite amie de son frère. Elle lui dit
quelques mots parce qu’elle est gênée, pour combler le silence.
L’ascenseur les conduit au rez-de-chaussée sans un bruit
(scène 19). Réunis dans la salle à manger familiale le père
et la mère parlent de Hsiao Kang (est-il la réincarnation
du Prince Ne Cha ?) Leur discussion houleuse fait place
à un bref silence. L’atmosphère pesante est, en effet, subitement
brisée par le bruit d’une chasse d’eau. Hsiao Kang était
dans la salle de bain qui se situe à quelques pas de là.
Il a entendu leur conversation (scène 30). Hsiao Kang entre
en transe. Les mouvements saccadés de son corps, les effets
de gorge qui pallient son mutisme plongent ses parents dans
l’effroi (scène 31). Il dénonce, en tentant en vain de les
rompre, les silences (les non-dits) familiaux.
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La musique des Rebelles…,
composée par Huang Hsu-Chung, une mélodie unique dont le
tempo et l’orchestration évoluent en fonction de l’intrigue
a été imposée par la production (13).
Bien que très évocatrice, parfois même émouvante, elle pèse
souvent de tout son poids sur la première réalisation de
Tsai Ming-Liang. « Je n’aime pas la musique
parce qu’elle peut casser le réel que j’ai envie de montrer »,
déclarait dernièrement le cinéaste (Tsaï Ming-Liang,
Editions Dis Voir). Qu’il soit rassuré, la petite
phrase musicale déclinée par deux fois dans l’enregistrement
dont nous disposons (scènes 7 et 32), au total cinq fois
au cours du film, ne crée pas d’interférence dans son œuvre.
A aucun moment, elle ne brouille son contenu.
Notes à propos du papier
peint de Et là-bas…
Chen Shiang-Chyi, en voyage à Paris, rencontre par
hasard une compatriote. Celle-ci lui offre un thé, puis
l’invite dans sa chambre d’hôtel. Les deux femmes allongées
face à face s’observent longuement. Leurs profils, d’une
symétrie parfaite, semblent se mêler l’un dans l’autre.
Quelques secondes auparavant, tandis que son hôtesse était
dans la salle de bain, Chen Shiang-Chyi s’était attardée
sur les motifs du papier peint recouvrant les murs de
la pièce : des arabesques (des torsades bleu marine
sur fond blanc s’enchevêtrant à l’infini).
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Chen Shiang-Chyi et son acolyte
échangent un baiser, font peut-être l’amour, puis quelques
heures ou quelques jours plus tard se séparent. Comme
leur rencontre, leurs adieux se déroulent presque sans
un mot. La jeune touriste quitte la chambre d’hôtel encombrée
d’une grosse valise qu’elle traîne tant bien que mal dans
le jardin des Tuileries. Elle s’endort sur une chaise
devant un bassin circulaire.
« L’espoir le plus fou de mes personnages c’est qu’un
jour quelqu’un étende la main pour leur offrir un verre
d’eau » (14).
Cette déclaration de Tsai Ming-Liang, extraite
du dossier de presse de The Hole, est valable pour
tous ses films.
Les quelques scènes de Et là-bas quelle heure est-il ?
décrites plus haut, à l’origine de ces notes, contiennent
tous les éléments utilisés habituellement par Tsai Ming-Liang
pour évoquer les affects.