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Peut-on parler d’amour chez Tsai Ming-Liang ? Oui (le titre de son second film, d’ailleurs, Vive l’amour, en même temps qu’il contient ce mot, semble affirmer sa nécessité). Mais la psychologie, les sentiments, chez le cinéaste taiwanais, sont toujours traités de façon détournée. A tel point qu’ils semblent presque inexistants. Ils ont une place prépondérante dans son œuvre mais n’en sont pas un élément concret. C’est la somme des événements qui constitue la trame de ses scénarios, ses choix de mise en scène qui suggèrent leur présence.

Cet état de fait repose sur un principe, qui est aussi un paradoxe, devenu une des caractéristiques de son style : plus les choses sont importantes moins elles sont visibles.


L’amour est bleu

O Buraco  (c) D.R.

Dans les films de Tsai Ming-Liang, des personnages plus ou moins inhibés se croisent. Qu’ils vivent seuls ou en groupe (15), ils sont toujours isolés. Leur environnement est aussi limité que la portée de leurs actions (16).

Les rencontres s’effectuent toujours par hasard, provoquant parfois un choc violent (dans ce cas, on suit, on épie, on tente par tous les moyens de s’imprégner de l’autre. En son absence, on cultive son souvenir par des moyens détournés. L’attraction peut virer à l’obsession ou se transformer en rejet). Elles constituent toujours la base d’une remise en question (même si celle-ci n’est que passagère, jamais verbalisée) engendrant un profond malaise devant l’être convoité dont on devient, parfois, momentanément, le reflet. Elles sont souvent sans lendemain. Elles peuvent se concrétiser par un simple baiser. Lorsque, dans une chambre d’hôtel, un appartement vide, une voiture, la cabine d’un sauna, des corps s’unissent dans la pénombre ou la pâle clarté du lever du jour, c’est toujours de façon maladroite.

Ce rapprochement vers l’autre correspond à un besoin profond mais non dit, non maîtrisé. Il est vécu comme une pulsion inexplicable. Les comportements qu’il suscite, en même temps qu’ils révèlent peurs et frustrations, parent de mystère les événements les plus anodins qui constituent l’essentiel du quotidien. Ces bouleversements que subissent les personnages de Tsai Ming-Liang, parenthèse dramatique, trouble, dans leur vie, à priori, sans attrait (« rectiligne », sans couleur), sont généralement illustrés par l’apparition ponctuelle, à l’écran, d’objets sphériques, de courbes, et par l’utilisation du bleu. 


L’espoir le plus fou…

  Vive l'Amour (c) D.R.

Dans Les Rebelles…, Lee Kang-Sheng (Hsiao Kang) veut se venger de Chen Chao-Jung (Ah-tze) parce que ce dernier a agressé son père, mais, aussi, surtout, parce qu’il jalouse son mode de vie, sa personnalité. Lee Kang-Sheng passe son temps à suivre les allées et venues de son « ennemi » (son impossible reflet) dans les rues de Taipei. La moto du jeune homme, symbole de liberté, décrit de larges courbes sur le périphérique.

Ah-Tze et l’ancienne petite amie de son frère contrairement à ce que pense Hsiao Kang (pris au piège des apparences) vivent une relation complexe. Ils sont incapables, l’un et l’autre, d’exprimer leur sentiment. Après bien des détours, lorsque enfin ils se retrouvent face à face dans une chambre d’hôtel, les deux jeunes gens désemparés tirent chacun à leur tour nerveusement sur une cigarette. Devant une télévision qui diffuse un film pornographique, ils imitent en silence les gestes de l’amour. Le jour se lève. Une partie de la pièce baigne dans le bleu.

Chen Chao-Jung tourmenté, indomptable, abandonne un moment la jeune fille, sort dans la rue. Il se réfugie dans une baraque de jeux vidéo, interroge une machine à sous censée lui révéler son avenir (il pose sa main sur un écran bleu constellé de lumière) (17).  

L’héroïne de Vive l’amour (Yang Kuei-Mei) après s’être offerte à Chen Chao-Jung, sort dans la rue. Elle se rend dans un parc, terrain vague, paysage lunaire, bordé d’arbres aux branches noueuses et dénudées. La vision de cet espace chaotique, représentation implacable de son désespoir, lié en partie à ses frustrations, provoque ses larmes.