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  The Hours (c) D.R.

Qu'est-ce qui rapproche donc ces trois personnages si différents ? Tout d'abord un livre. "Mrs Dalloway" pour être précis. Dans l'intervalle d'une journée sur laquelle repose le film, Virginia Woolf commence à écrire ce roman, l'un des, sinon le chef d'œuvre, de sa carrière. Laura Brown entame la lecture de ce livre. Clarissa Vaughn ressasse une remarque de son ancien amant Richard qui l'a qualifiée un matin de Mrs Dalloway, réflexion qui l'a profondément et durablement blessée. Stephen Daldry filme la force de la littérature, sa manière unique de traverser le temps et les modes pour influencer les vies de milliers de lecteurs. A travers certaines scènes, le réalisateur anglais suggère même que Virginia Woolf téléguide de sa plume non seulement les destinées des héros et héroïnes de son roman mais aussi celles de personnes de chair et d'os nées quelques décennies plus tard.

C'est avec le personnage de Laura Brown que Stephen Daldry met pour la première fois en images ce droit de vie et de mort atemporel exercé par Virginia Woolf. D'un côté, il montre l'écrivain en train d'imaginer le futur de Mrs Dalloway : elle pense dans un premier temps la suicider mais revient ensuite sur sa décision. De l'autre, il filme une Laura Brown au bord du suicide alignant des flacons de somnifères sur le lit de la chambre d'hôtel qu'elle a choisie pour la sinistre occasion. Comme Mrs Dalloway, la jeune femme renonce finalement par manque de courage à se donner la mort. De ce parallélisme entre l'écrit et la vraie vie, naît une scène magnifique où le lit sur lequel repose Laura Brown est submergé par une eau boueuse rappelant celle de la rivière où Virginia Woolf se noie volontairement au tout début du film.

The Hours (c) D.R.

Plus tard dans le récit, Stephen Daldry réédite cet aller-retour entre fiction et réalité. Il s'agit de nouveau de suicide mais cette fois de celui de Richard. Le poète atteint du sida, interprété par un remarquable Ed Harris, ne supporte plus d'assister à sa déliquescence physique et mentale. Il décide donc de mettre fin à ses jours en se jetant par la fenêtre. Cette séquence du suicide de Richard est entrecoupée par une discussion au coin du feu entre Virginia Woolf et son mari. “ Pourquoi veux-tu tuer un de tes personnages ? ”, demande Leonard Woolf. “ Pour que les autres comprennent l'importance de la vie. Par contraste. ”, répond l'écrivain. “ Et qui vas-tu faire mourir ? ”, poursuit le mari. “ Le poète, le visionnaire ”, répond Virginia Woolf. La richesse de The Hours, cette adaptation du roman homonyme de Michael Cunningham (récompensé par le prix Pulitzer en 1999) par le scénariste David Hare, réside dans cette capacité à déconstruire le mécanisme du récit. Chaque intervention du personnage de Virginia Woolf explicite les rebondissements qui jalonnent le film. Un peu comme si l'explication de texte était contenue dans le texte même.

Au début du film, il paraît évident que Laura Brown, avec ses yeux embués en permanence et son teint plus que pâlot, est en route pour le cimetière. Le fait qu'elle se suicide à un moment ou à un autre du récit semble acquis. Mais alors que les dés ont tout l'air d'être jetés, alors que mademoiselle Brown n'a plus qu'à avaler les médicaments contenus dans son sac pour rejoindre ses ancêtres, le scénario bifurque, s'écarte de la route narrative toute tracée pour prendre une direction surprenante. Laura Brown décide finalement de rester en vie. Pour expliquer ce revirement, intervient alors le personnage de Virginia Woolf, qui démontre combien faire mourir une héroïne qu'elle s'appelle Laura Brown ou Mrs Dalloway est une solution de facilité. Conserver en vie ces personnages a en effet bien plus de poids, bien plus de force. La poursuite de leur existence suggère en effet que pour une femme, l'émancipation est un combat. Alors que le choix du suicide correspondrait à une sorte d'acceptation de l'ordre établi, à un aveu de défaite.