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Far from Heaven (c) D.R.

The Rules of attraction surfe avec une franche virtuosité sur une esthétique archi-contemporaine de la déréalisation dont les principes formalistes plongent directement dans une problématique de la réapparition possible d’un réel saisissable dans des images qui n’auraient plus seulement que leurs seuls codes à reproduire. Ce que, soit dit en passant, rate non sans bravoure le gélifié Far from Heaven de Todd Haynes, trop compassé dans une stricte obédience au modèle sirkien décrété. S’attaquant à l’iconographie d’un sous-genre récent hollywoodien, le teen movie, dénué de toute aura et de tout prestige mais représentatif des orientations idéologiques récentes (la doxa du jeunisme et son corollaire immédiat, à savoir un consumérisme à tout crin et sans limite), que déjà Wes Craven avec Scream (1996) soumettait à une réflexion maniériste autour du film d’horreur adolescent emblématisé par Halloween (1978) de John Carpenter, Avary opère moins une distorsion à la manière d’un Lynch (Twin Peaks (3)) qu’un éclatement narratif valant pour une déconstruction du genre. Ce qu’il fit pour le sous-genre plus classique du film de casse (en cosignant le scénario de Reservoir dogs (1992) de Quentin Tarantino et en réalisant à son tour Killing Zoe en 1994) et pour le film noir avec Pulp Fiction (1994) de Tarantino toujours, il le fait dorénavant avec le teen movie genre American Pie dans son deuxième long métrage après huit ans d’absence des écrans et des travaux alimentaires pour la télé (4).

Roger Avary appartient à un nouveau genre de cinéastes américains dont l’auguste initiateur est sans aucun doute Martin Scorsese à la fin des années 70 et qui subordonnent leur idée du cinéma conjointement à la prise en charge des acquis télévisuels (voir dans le film d’Avary les clips homo sur L’ami Caouette de Serge Gainsbourg et sur Faith de George Michael) et aux effets paranoïdes de la drogue – plus précisément de la cocaïne – qui domine le marché actuel aux USA. Des auteurs tels que Oliver Stone (avec Natural born killers en 1994), Brian De Palma (avec l’éminent Scarface en 1984), Abel Ferrara, David Lynch, John Woo, David Fincher et donc Tarantino peuvent figurer dans cette nouvelle perception (5) des images qui forment le produit hautement hallucinatoire d’un double mixte accélération/explosion et simulation/déréalisation afin de rendre compte des nouvelles donnes comportementales, rythmiques et sensorielles de leur temps, quelle que soit par ailleurs la réussite respective de leurs films. Il y a tout lieu de comparer les nouveaux cinémas asiatiques (hormis l’exception de HongKong, jusqu’alors fenêtre occidentale ouverte sur l’Asie), tous caractérisés par le ralentissement perceptif et narratif à la frange la plus expérimentale du cinéma commercial américain travaillant l’affolement ou l’emballement de codes éminemment plus rigides. Les logiques industrielles et commerciales inhérentes à Hollywood obligent à ce que ces cinéastes respectent ces codes au départ pour mieux les indexer ensuite à une approche qui relève davantage du conceptuel que du maniérisme pur et simple.

  Night Of Living Dead (c) D.R.

Le film de Avary ainsi arrive à tracer une originale asymptote de type anthropo-technologique qui décrit en quoi la vie de quelques étudiants WASP de la Nouvelle-Angleterre se met de plus en plus à ressembler à une bande vidéo porno ou gore, voire à The Night of the living dead (1968) de George Romero (à tous égards œuvre matricielle de tout un pan du cinéma américain actuel). Vision asymptotique qui induit obligatoirement un espace, même si celui-ci se voit continûment diminuer sans pourtant jamais cesser d’exister, où le réel et le simulacre ne se rencontrent pas dans une mutuelle absorption qui signifierait leur néantisation à tous les deux et que n’ont de cesse de décrire depuis vingt ans des penseurs tels Jean Baudrillard ou Paul Virilio. On s’explique le narcissisme jouisseur et généralisé de l’entreprise, acteurs et concepteurs compris, qui, après coup, se trouve pleinement justifié. C’est parce qu’est pleinement investi cet espace-entre, véritable champ magnétique produit par ces deux pôles que sont positivement la vie et négativement sa réification visuelle et publicitaire, et que le cinéaste envisage ce champ d’attraction comme du désir circulant, même mal, entre les fragments de son récit-puzzle, que The Rules of attraction impressionne durablement et peut émouvoir.