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Orange mécanique (c) D.R.

Jouant du zapping, de la fonction « rewind » du magnétoscope (comme l’avait déjà fait Michael Haneke avec Funny Games en 1997) et des effets de désensibilisation produits par l’abus de cocaïne mais appliqués à la narration du film, le cinéaste réussit à être l’agenceur/séquenceur d’un dispositif plastique en quatre dimensions, chacune de ces dimensions étant un des quatre protagonistes du récit (Sean, Paul, Lauren et Victor), qui multiplie les possibilités de connexion ou d’embranchement sans qu’aucun de ceux souhaités par les personnages n’ait pourtant lieu. The Rules of attraction, s’il s’apparente à une sarabande grotesque lorgnant du côté des pantins pop et des masques grimaçants de A Clockwork Orange (1971) de Stanley Kubrick (cf. les reprises techno ou rap des classiques de Bach, Beethoven et Verdi témoignent de cette influence), se trouve être en fait une élégie mélancolique nimbée d’une réelle sensibilité, en cela très proche de Bande à part (1964) de Jean-Luc Godard (la visite au Louvre en quatrième vitesse se voit substituer chez Avary par une série d’haltes dans les capitales européennes filmée en caméra numérique hyper speedée et en débit recto tono d’une blancheur monocorde qui fait penser à une compression de César). Ce n’est plus le monde qui fait selon les termes d’un mauvais scénario bande à part mais mon plus proche (voisin de chambre, camarade de classe, copain ou copine) dont la vie est un film déjà vu cent fois, qui n’est pas raccord avec le mien et ne le sera jamais. L’utilisation de l’arrêt sur image avec agrandissement photographique et du split-screen participent logiquement d’un éloignement de tout accord d’objectivité, de tout consensus, au profit d’une subjectivité hypertrophiée, en roue libre et en circuit clos, accusant l’éloignement de sa propre expérience vécue dans une image qui n’est déjà plus redevable d’un moi particulier mais d’un réservoir commun d’icônes et de fétiches. « Typical » comme disent les protagonistes du film pour lesquels tout semble déjà avoir eu lieu, tout paraît être gagné par avance. La mascarade sarcastique et bouffonne qu’incarne une bande de dealers plus déjantés que ceux du compère Tarantino coule (la surchauffe visuelle, la neige remplaçant la cocaïne) et laisse ainsi s’épancher un fort sentiment nauséeux de tragique existentiel.

  American Psycho (c) D.R.

Réussissant la vraie première sitcom d’auteur ou adulte que Matthieu Kassovitz feignait mollement de représenter dans Assassin(s) en 1997 ainsi que la première adaptation d’un livre de Bret Easton Ellis (à oublier l’épaisse transposition cinématographique de American Psycho d’il y a deux ans), Avary sait forcer l’intériorité d’images subordonnées à la mécanique de leurs codes (sur laquelle d’ailleurs le cinéaste renchérit avec une outrance et une virulence assez rares) en multipliant les voix-off qui valent autant comme preuve d’une déréalisation et d’un détachement décrits plus haut que la preuve aussi que des vies et des espoirs se jouent ou meurent là, chacun de leur côté, tout juste les uns à côté des autres (6). C’est le suicide d’une jeune fille, le seul pied de sa courte vie, suicide filmé comme un shoot ou un happening, et dont personne ne saura rien (on pense ici particulièrement aux travaux de la vidéaste suisse-allemande Pipilotti Rist qui ont aussi influencé David Lynch). C’est un soirée étudiante « fin du monde » qui n’est que le lieu, excluant toute acmé ou résolution dramatique que le spectateur désirera en vain, de trajectoires simultanées qui ne sont décidément jamais arrivées à se croiser, comme autant d’asymptotes relancées exponentiellement vers l’infini. Le drame se situe résolument ailleurs.

Le nietzschéisme de Larry Clark réalisant Kids en 1996 et surtout Bully en 2001 lui permettait de ne jamais figer son registre filmique dans les pièges didactiques du film-dossier, privilégiant toujours les corps aux discours que ces mêmes corps s’amusent à susciter. Le romantisme réel et noir de Roger Avary pousse ce dernier à multiplier les ruptures (de ton, de narration) et à zigzaguer entre elles afin de sauver ce qu’il peut y avoir d’encore vivant dans des figures trépassées (on n’est alors pas très éloigné de Bringing out the dead (1999) de Scorsese et on ne peut donc qualifier sa posture de nihiliste) mais ce, sans jamais feindre d’ignorer que ces figures, dont la pulsion de mort est entretenue par le libéralisme universitaire, sont sursitaires. Le pire est peut-être encore à venir. Information de taille : les filles se suicident mieux que les garçons aux USA. Ce qu’il reste à faire à ces derniers, survivants-assassins en puissance (une alternative parmi d’autres) : trader à New York (cf. American Psycho) ou soldat dans le mauvais film au scénario couru d’avance qui se joue en ce moment sous la supervision de l’administration Bush en Irak et que retransmettent consciencieusement toutes les télés vassales du monde. Dans les deux cas, il faut compter avec de vrais morts, en sursis ou non. Images comprises, qui viennent mourir dans ce Ground Zero qu’est définitivement le teen movie ou la télévision.