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Do The Right Thing (c) D.R.

Les boursouflures et les fioritures ne sont pas toujours évitées mais encore une fois elles vont dans le sens d’une puissante dialectisation des discours ambiants. Lee lui-même, accompagnant au plus près son personnage comme hier John Huston regardait Montgomery Clift dans The Misfits en 1960 (9), semble en conséquence vouloir se retirer d’une ancienne posture « communautarisante » que Malcolm X en 1994 avait exemplairement, et ce jusqu’à l’ambiguïté, représentée. Posture qui dans sa version intégriste a pu donner tant les fondamentaliste protestants américains que Ben Laden. On n’a pas semble-t-il insisté sur l’ambiguïté dont se nourrit la nouvelle phase de l’œuvre de Lee, ce qui le rapprocherait de Orson Welles mais aussi de Jean-Luc Godard. La trahison par la petite amie, au-delà de tout jugement moral, n’était-elle déjà pas l’aboutissement de A bout de souffle en 1959 ? Les faux-raccords lyriques font formellement bégayer les embrassades typiquement américaines de femmes et d’hommes élevés dans l’idéologie la plus mensongère qui soit, celle d’un « tous ensemble » qui trouve dans « la croisade du bien contre l’axe du mal » professée par Bush sa véritable résolution. Ce que filme le cinéaste, avec l’attentat du 11 septembre dans le rétroviseur, c’est le sol qui se dérobe sous les pieds de personnages ni meilleurs ni pires que d’autres, c’est un socle de certitudes qui vole en éclats et qui prouve à quel point l’attentat peut servir de salutaire catalyse, de nécessaire catharsis. Do the right thing, certes mais qu’est-ce qu’une « bonne chose » au vu d’un tel contexte ?

Ce sont les possibles qu’alors on développe quand le réel est à ce point miné, grêlé, tapissé de fausses valeurs hier encore acclamées et aujourd’hui considérées à raison comme des pièges aliénants : un rêve d’établissement familial loin de tout, à tous égards correspondant à cette seconde chance qui est l’un des paradigmes de la thématique américaine, trop cliché, trop usé (cf. les couleurs délavées de la séquence en disent long) pour pouvoir être vrai. Ce sont les couches de passé que l’on extrait par exemple des plis d’un canapé, bonheur conjugal trop beau pour avoir été si vrai, et qui n’empêchent pas l’avenir de pourrir le présent de tant d’hypothèses et d’incertitudes que rien ne semble devoir lever. Ainsi la prison pour Monty qui permet au cinéaste de réussir le tour de force de réaliser l’un des plus beaux films de prison récents sans rien filmer de celle-ci, dont l’horreur est uniquement convoquée à travers un fond commun dispensé par les médias et partagé par tous et aussi par l’expérience de quelques-uns (10). Autre réussite également, celle de figurer également le puritanisme excessif et hypocrite qui sclérose l’ami Jacob et inhibe sa sexualité, censure participant à la confection de l’édifice moral décrit précédemment. La « guerre préventive » de Bush ne commence pas autrement que dans la mise au pas, le rappel à l’ordre et la bride accolée à toute une population.

  Ground Zero (c) D.R.

Dernière réussite, et non des moindres, d’un film gorgé comme un œuf de dires au risque de trop en faire : celle de représenter un dealer qui a vécu son activité comme parfaitement raccord avec l’apologie de la réussite individuelle promue par le néo-libéralisme actuel, à l’instar du couple du dernier film de Abel Ferrara, R’Xmas (2001), et qui se voit reprocher par son ami, golden boy travaillant à Wall Street à la captation frauduleuse de la valeur produite par les travailleurs américains (d’Enron ou de Worldcom par exemple) et spéculant sur le maintien des chiffres du chômage, sa petite fortune bâtie sur le malheur et la dépendance d’autrui ! Autre vingt-cinquième heure : celle des pros du boursicotage. Autre Ground Zero : Wall Street. L’attentat du 11 septembre aura été cette éraflure dont les stigmates (drapeaux, photos) et les récurrences symboliques parcourent tout le film de Spike Lee, du chien blessé recueilli par Monty à son visage tuméfié à la fin, crevant l’abcès d’un pays gâté de trop d’autosuffisance, croyant en son inébranlable puissance. La baudruche dégonflée, les images de Spike Lee recueillent la poussière de ces états (d’Amérique) de vide pendant que les corps titubants du film gonflent de tristesse, de désir, de rage, d’orgueil. Et qu’un hors-champ menaçant (la prison pour Monty, la guerre en Irak pour nous) ne cesse d’enfler alors qu’un autre (Wall Street) n’est toujours pas prêt de descendre de sa tour d’ivoire et d’apparaître pour ce qu’il est, un autre ballon de baudruche que la raison aurait dû déjà crevé.