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Après vingt trois films,
il nous a livré deux diatribes antiracistes, Do The Right
Thing (1989) et Jungle Fever (1991), une chronique
jazzy, Mo’Better Blues (1990) et une satire musicale,
School Daze (1988). Ensuite, il a produit une fresque
historique, Malcolm X (1992) et une œuvre intimiste
sur son enfance, Crooklyn (1994). Il tourne Clockers
(1995), un drame policier, puis les comédies acidulées She's
Gotta Have It (1986) et Girl 6 (1996). Enfin, il
réalise Get on the Bus (1996), son road-movie sur la
Million Man March et le documentaire 4 Little Girls
(1997) sur l’assassinat de quatre jeunes filles en 1963, dans
l’explosion d'une église à Birmingham. Il développe sa passion
du basket dans He Got Game (1998), l’histoire d’un
jeune espoir de la NBA. Il échafaude Summer of Sam
(1999), une critique sociale new-yorkaise des Seventies, suivit
d’une satire sur le monde de la télévision, Bamboozled
(2000). Sa dernière œuvre, La 25èmeheure,
est une variation sur le New York post-11septembre.
Les films dramatiques et les comédies composent son imposante
filmographie, comme chez Hawks, où l’on assiste à une sorte
de fusion entre ces deux éléments qui se complètent au lieu
de se desservir. She’s Gotta Have It met en scène
le parcours sentimental d’une jeune afro-américaine new-yorkaise,
sexuellement libérée, qui n’arrive pas à choisir entre ses
différents prétendants. Cette comédie, en phase avec son temps
qui se situe au sein de la moyenne bourgeoisie noire de Brooklyn,
séduit par la vivacité de son style et l'impertinence de ses
répliques corrosives. Filmée en super 16 mm (par la suite
gonflée en 35 mm), en seulement douze jours, la mise en scène
fut distinguée au Festival de Cannes. Do The Right Thing,
film d’anticipation sur les émeutes de Los Angeles de 1992,
est une radioscopie de la montée des tensions raciales entre
Italiens et Noirs du quartier de Bedford-Stuyvesant. Au cours
de cette journée, la vie du quartier est ponctuée par l’apparition
de différents personnages peints avec humour et attention,
dont les relations sont rythmées par des anicroches racistes,
électrisées par la canicule, qui finissent par engendrer l’irréparable.
Lee, comme Ford, est en phase avec l'état de son pays et dévoile
les mécanismes du racisme à travers une chronique de la haine
ordinaire. Pino et Vito s'opposent sur l’attitude à adopter
vis à vis de Mookie, tandis que Buggin'Out, l'activiste, veut
boycotter la pizzeria au décor trop italien à son goût. Suit
une altercation qui entraîne la mort de Radio Raheem, tué
durant l’affrontement par un officier de police, et débouche
sur une émeute qui laisse s’échapper des sentiments refoulés
jusqu’alors. Lee réalise un film moite, tout en lenteur et
qui, dès qu’un conflit émerge, devient plus rapide. La scène
de l'insurrection transcende l’explosion de haine, elle est
montée avec des plans où tout s’accélère et retranscrit une
atmosphère de confusion et de ressentiment.
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Il perpétue la fusion de
moments légers et tragiques, notamment avec Crooklyn, sans
doute son œuvre la plus personnelle, basée sur ses souvenirs
d’enfance qui lui rappellent : « un temps où
les jeunes Afro-Américains ne s’intéressaient qu’à deux choses :
la télé et les bonbons… […] je vois une époque où je n’ai
jamais eu peur de prendre un mauvais coup à l’école ou dans
mon quartier… L’escalier de la maison, le trottoir et la rue,
c’était là que l’on jouait ». Crooklyn est ponctué
par une bande son reprenant des standards de la soul et de
la musique noire américaine qui constitue la vision interne
de Spike et Joie Lee sur cette période.
Les héros de Crooklyn ont vieilli, ils ont perdu leur
innocence et pénètrent dans l’univers des gangs qui rongent
les ghettos. Clockers est l’histoire d’un meurtre dont
la responsabilité est endossée par le frère aîné d’un jeune
revendeur de drogue, soupçonné par un enquêteur tenace d’en
être le véritable auteur. Le générique fait dérouler des
corps de jeunes noirs tués par balles, on connaît dès lors
l’issue de la violence des ghettos. Ce film policier désenchanté,
sur fond de guerres de gang, est rythmé par des scènes de
meurtres et agrémenté d’un humour corrosif qui s’entremêlent
dans une ronde nerveuse. Cette réalisation permet à Lee de
détourner les canons du genre pour amorcer une vraie réflexion
sur la destruction d’une communauté rongée par la drogue et
la prolifération des armes. Le suspense s’éloigne pour permettre
à l’étude de mœurs de s’engouffrer dans les abîmes où la psychologie
des protagonistes s’abandonne au portrait d’une jeunesse sacrifiée.
Spike Lee, avec ce film hyper-réaliste tourné en caméra à
l’épaule, fait preuve d'une grande virtuosité technique. L’admirable
direction d’acteurs impressionne, notamment les rôles de Strike
et Keitel interprétant un inspecteur refusant de se laisser
abuser par des évidences trompeuses.
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