 |
|
|
|
Par la suite, Lee se plonge
dans l’histoire de sa communauté et témoigne de l’engagement
et de sa dévotion pour celle-ci avec un triptyque sur l’histoire
afro-américaine : sa fresque historique Malcolm X
qui n’est ni une hagiographie, ni un pamphlet de propagande
pro-Black Power, mais lui permet de s’affranchir de sa dette
à l’égard de sa communauté en réhabilitant la mémoire de l’un
des plus importants leaders du mouvement pour les Droits Civiques.
Malcolm X justifiait la violence raciale comme une
composante du système américain, cultivant d’autre part les
frustrations des Afro-Américains subissant le racisme, survivance
des relations sociales rurales nées de l'esclavagisme, qui
s’inscrivait comme une composante irréductible et constitutive
du capitalisme industriel et de la vie dans les agglomérations
américaines. S’il n’occulte pas la période extrémiste et radicale
du leader afro-américain, Lee met en scène un Malcolm X
charismatique, vulnérable, tenace, clairvoyant et humain par
le biais d’une grande esthétique. Lee ne saurait être réduit
au rôle de sociologue cinématographique, c’est aussi un plasticien
de l’image. La profondeur de son cinéma est intrinsèquement
liée à son style, la forme de son message déborde le contenu
et devient elle-même l’objet de la communication. Chez Lee,
le fil narratif est invariablement déterminé par l’éclat et
l'adéquation formelle de sa mise en scène. Un des plans récurrents
de Lee, qui est en quelque sorte sa signature, consiste en
un déplacement circulaire qui apparaît dans Mo’Better Blues,
Clockers, Summer of Sam, La 25ème heure.
Malcolm X, de retour de son pèlerinage de la Mecque,
après avoir rompu avec la Nation of Islam, se réfugie
dans un hôtel car sa maison a été attaquée. Il est alors saisi
par le doute et la crainte, il se place sur le chariot de
la caméra qui est positionnée devant lui, celui-ci opère une
rotation complète à l'écran, qui extirpe le personnage de
la réalité physique. Ce mouvement de caméra, onirique, traduit
l'aspect irréel de ce moment et reflète les tourments de l’âme
humaine.
Lee se fait plus grave, plus dramatique et s’attache - comme
dans Jungle Fever - à analyser les conséquences d’une
romance inter-raciale : « Lorsque l'on transgresse
les barrières raciales, sociales ou sexuelles, il arrive que
l'on se retrouve dans cet état de fébrilité primitive appelé
‘jungle fever’ », affirme-t-il. Le tragique fait
divers qui survient dans les années 80, au cours duquel le
jeune Afro-Américain Yusef Hawkins, new-yorkais abattu par
un gang de jeunes Blancs, est une des sources d’inspiration
du film. Spike Lee affirme que : « Sans vouloir
faire de référence précise à cet événement, il était indispensable
de tourner en extérieurs réels afin de bien montrer la différence
entre les origines ethniques de Flipper et d'Angela. »
|
 |
|
|
Avec Get on the Bus,
son road-movie en trompe l’œil, l’action se déroule
à l'intérieur d'un bus menant une vingtaine de Noirs de Los
Angeles à Washington DC, vers la Million Man March
de Louis Farakhan. Lee ne verse pas dans l’extrémisme moralisateur
cher à Farakhan, mais dévoile les divers préjugés qui désagrègent
cette communauté afro-américaine. Il s’attache à dénoncer
les dissensions internes des Noirs américains en prônant pour
seule alternative d’union : la solidarité. Réalisé en
Super-16 mm, avec un mélange de plans en vidéo, il tourne
les scènes d'extérieurs avec une texture en gros grains et
des couleurs ultra-saturées pour marquer la rupture avec le
monde extérieur au bus. Bamboozled clôt pour l’instant
ce cycle. Lee, avec cette satire, déconstruit la représentation
du Noir dans le cinéma américain. Delacoix, en créant The
New Millennium Ministrel Show, s’imaginait briser les
stéréotypes du Noir en le décrivant sous un aspect caricatural.
Son sitcom suscite l’enthousiasme d’une partie du public.
Par moments, la réalisation de Lee se fait plus proche du
documentaire, comme dans Get on the Bus, et lui confère
une dynamique plus intimiste. La scène du Minstrel Show,
filmée dans les conditions du direct avec les réactions du
public gêné, ravi, révolté, est la manière la plus intraitable
d’évaluer le poids des préjugés qui sont véhiculés sur les
Afro-Américains. Le générique finale de Bamboozled présente
un montage d’extraits de films et de cartoons où l’homme noir
est discrédité (Naissance d'une Nation, l'esclave, l'image
de la « mama », The Ministrel Show, etc.)
et achève d’expliquer les différences entre les conceptions
de Lee et les intentions de certains cinéastes et producteurs
de l’âge d’or hollywoodien (Capra, Wilder, Selznick).
|