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Ozon avait été capable de mettre en branle
sur les rails d’une folie qui lui était propre la momie Charlotte
Rampling, fine équilibriste sur le fil somnambulique d’une
opacité magnifique – son visage nous tenait en ne lâchant
rien de ce qui la tenaillait –, moins comme jeu téléguidé
rigidement de près que comme présence inquiète observée de
loin. Présence dont la ténuité trouvait son origine dans les
nœuds de son obsession, en miroir avec ce qui obsède en propre
le cinéaste qui suivait comme un aveugle confiant les trajets
de cette dernière, tel Scottie avec Madeleine dans Vertigo
(1958) d’Alfred Hitchcock, Sous le Sable ayant alors
l’allure d’une double spirale, partant du dehors vers le dedans
(l’imaginaire fantasmatique) et du dedans vers le dehors (le
documentaire). Alors que dans ce présent film Ozon emmaillote
son actrice dans les habits amidonnés et cintrés qu’Huppert
revêtait sans maugréer dans Huit Femmes, éventant en
conséquence tout mystère que peut induire une présence au
profit du bouclage d’un rôle de composition confectionné au
millimètre et reposant pour sa majeure partie sur les clichés
attenant à un personnage d’écrivaine anglaise de plus de cinquante
ans telle que l’on peut d’autant plus facilement se l’imaginer
lorsqu’il s’agit de Charlotte Rampling pour l’interpréter.
Coincée, rigide, névrosée forcément. Et forcément appelée
à connaître la levée de ses inhibitions. Extrême classicisme
de la perversité qui, effectivement, fait davantage penser
à l’imaginaire de Jacques Deray faisant La Piscine
(1969), qu’à celui de Luis Buñuel réalisant Tristana
en 1970 (puisque Ozon s’amuse à citer les deux films).
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Si l’aspect « œuvre policière à l’anglaise »
de Swimming Pool, convoquant l’atmosphère délétère
des romancières modernes du genre telles Ruth Rendell, P.D.
James ou Patricia Highsmith (2), suscite un peu plus
d’attention que la réactivation poussiéreuse du « whodunit »
à la Agatha Christie de Huit Femmes, si Ludivine Sagnier
peut à la limite convaincre (et on imagine que son Pygmalion
l’est davantage que nous, à voir avec quelle complaisance
il s’attarde sur ses rondeurs) en fétiche sexuel de notre
temps (sous influence « loanesque »), sorte de « bimbo »
à la vulgarité exposée « plein soleil », il n’empêche
que le nouveau film d’Ozon peine à égaler ses modèles avoués,
tant le Joseph Losey de Secret Ceremony (1968) pour
tout ce qui concerne la lutte entre de deux natures tout aussi
dissemblables que fascinées l’une par l’autre et sommées par
un artifice de convention scénarique de vivre momentanément
sous le même toit, que Barton Fink (1991) des frères
Coen pour la description mentale des obscurs mécanismes de
la création artistique. On ne s’attardera pas à faire la comparaison,
défavorable pour Ozon, avec le récent Dancing de Patrick
Mario Bernard, Pierre Trividic et Xavier Brillat, 1000 fois
plus singulier et imaginatif sur un sujet similaire, simplement
parce qu’ils filmaient concrètement des processus de cristallisation
créatrice qu’Ozon évacue à coup d’ellipses paresseuses.
On regrette les oeuvrettes aussi vives et ouvertes comme pouvaient
l’être Une Robe d’été (1996) et Regarde la mer
(1997) qui, aussi en partie grâce à leur format bref (un court
et un moyen métrage), savaient éviter la graisse (référentielle,
narrative) pour aller directement à l’essentiel (l’identité,
la pulsion) sans passer outre la force énigmatique auréolant
cet essentiel que seuls le découpage et le montage avaient
su instiller. Ozon apparaît bien meilleur sur les courtes
distances, sec, tranchant, que pour les longues foulées, vite
à bout de souffle, répétitif. On se souvient que dans Sitcom
(1999), un rat permettait par son intrusion dans l’espace
familial à chacun des personnages de se libérer positivement
d’une libido névrotiquement cadenassée sous des couches et
des couches de convention. Le film n’avait alors rien d’autre
à dire mais le disait avec la netteté d’un graphiste « ligne
claire », son seul mérite étant donc de valoir pour le
mot d’ordre (en gros, n’importe quoi sans hiérarchie de nature
peut servir de catalyse psychique, de libération libidinale,
de catharsis de l’imaginaire) d’une œuvre cinématographique
dont le devenir semble déjà tracé d’avance, d’une extrême
concertation et qui, Sous le Sable figurant jusqu’à
présent d’heureuse exception, tâtonne toujours, rumine pas
mal, piétine en fait.
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