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Swimming Pool (c) D.R.

Un rat donc, la mort d’un jeune d’origine maghrébine pour les héros du film suivant (Les Amants criminels en 2000) (2), un jeune homme paumé offert sur le plateau de l’ogre qu’interprétait Bernard Giraudeau dans Gouttes d’eau sur pierre brûlante, l’absence d’un être aimé dans Sous le Sable, la mort de la figure patriarcale dans Huit Femmes, une pétasse blonde dans Swimming Pool… Le fantasme n’explique rien et rien n’explique le pourquoi du fantasme. Il n’y a rien à voir ou à comprendre (sous le sable ou dans la piscine, d’où la fonction purement utilitaire de la figure incarnée par Ludivine Sagnier, simple pied de biche d’une imagination sclérosée, celle de l’écrivaine comme de son créateur), le fantasme déchargeant celui ou celle qui en est la proie d’en rendre compte, de rendre des comptes. Ultime « ruse de la raison » qui justifie hors tout logos n’importe quelle dévoration, le fantasme n’est qu’une image, la pointe la plus contractée d’un imaginaire souvent mou, manière d’interface (ici la piscine) réalisant la jonction d’une subjectivité (Sarah Morton que joue de manière appliquée Charlotte Rampling) et des représentations collectives auxquelles Ozon n’élude en rien l’actuelle médiocrité (3), et dont la stupéfiante mobilité, lorsque l’on s’y soumet, peut emmener très loin à l’intérieur de soi (on en ramène de l’abjection, de la force, du courage, un roman, un scénario). Jamais hors de soi puisque alors c’est le réel qui génère ce type de mouvement.

Ozon, en ne sortant pas de ses gonds, en remplissant consciencieusement son cadre, visse au plus serré les boulons d’un dispositif assez scolaire d’indiscernabilité entre la réalité et l’affabulation (4), disséminant tout le long de ses changements de séquence des interstices susceptibles d’appeler le spectateur au délire d’interprétation (encore eût-il fallu que l’histoire intéresse un tant soit peu et n’ait pas cet air de déjà-lu ou vu), et a ainsi décidé d’évacuer tout dehors et toute rencontre avec le réel en tant qu’altérité (le rat de Sitcom en est la représentation cauchemardesque et radicale) que le programme du film et son programmateur – croit-il – ne pourraient absorber au risque de l’anéantissement. D’où la problématique réussite claustrophobe, frileuse et mortifère de ce musée de cire qu’était Huit Femmes, en ce sens que le film est l’opération visant à enfouir la singulière position assumée par Sous le Sable (qui n’était que le portrait elliptique d’une femme et rien qu’une femme), un accident dont visiblement Ozon ne cherche pas aujourd’hui à réitérer les puissances insondables et déstabilisatrices (5), porté par une actrice qui était ce corps enchaîné au rocher de son fantasme mais qui fuyait loin vers le réel (c’est-à-dire toujours loin vers elle-même en tant qu’elle est cet « Autre » dont parlait Lacan plutôt que celle que se représente le cinéaste), entraînant à sa suite celui qui la filmait dans une posture non de fabrication ou de rétention mais de captation. Ozon originalement capturé plutôt qu’habituellement capturant.

  Swimming Pool (c) D.R.

C’est finalement quand il va voir ailleurs (c’était la leçon de Une Robe d’été) qu’Ozon intéresse et pas quand il décrète qu’il est le seul à jouir au plus haut point de ses petites entreprises. Ou bien le fantasme dévore mais demeure sous la coupe savante de la maîtrise du cinéaste marionnettiste qui le met en branle dans un coin de scénario, ou bien c’est le réel qui déborde (de la piscine) mais Ozon, artiste essentiellement phobique, ne souhaite être dans ce cas dans la continuité ni de Rossellini, ni du premier Bergman (Sous le Sable était pourtant son Monika (1953) à lui), ni de Godard, ni de Pialat (qu’il a étudié à la fac, tout s’expliquerait donc). La peur de toute intrusion – « l’Autre » en tant qu’il est désiré comme seulement, ou indésirable et à éliminer, ou intéressant dans la mesure où il est susceptible de subordination – limite drastiquement la portée esthétique et politique du cinéma ozonien, englué dans la (dé)monstration d’une possible inspiration à partir de l’imaginaire frelaté de son temps (le roman-photo, la sitcom, la télé-réalité) dans la réinvention d’une veine de polar anglais, au cinéma du moins, dévitalisée (6). Frayant sur ses maigres plates-bandes tel un petit propriétaire foncier dont l’unique souci est, semble-t-il, de faire fructifier son étique patrimoine cinématographique en en vérifiant d’abord et avant tout la fonctionnalité, Ozon (nous) fatigue vite. Et à chaque film, de plus en plus vite. Du réel sinon le cinéma étriqué d’Ozon (nous) étouffe. Ou bien comme dans Swimming Pool coule à pic.