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Bertrand Blier (c) D.R.

On retrouve dans ce cas précisément Godard et son affinité pour les acteurs en fin de course, à l’aura étiolée. Le seul problème, c’est que Blier refuse catégoriquement toute hétérogénéité (sans compter qu’il n’est pas un artiste à la mélancolie active mais un nostalgique à la sève épuisée dont la roublardise sert et ressert le plat le plus remâché, à savoir « la vie et rien d’autre » – euphémisme que d’avouer la faiblesse dudit constat), contrairement à l’auteur de Week-end (1967), et se complait à sauver les meubles plutôt que la vie en mitonnant selon les termes archi-rebattus d’une recette plus qu’éprouvée (le-film-de-Blier), avec les mêmes ingrédients (stars bien de chez nous sur lesquels Blier souhaite toujours capitaliser, mots d’auteur qui font plus tache de gras que fine mouche désormais  (11)) et dans la même cocotte-minute (un filmage en fonte, blindé, carré), la même daube misanthropique que depuis trente ans. Sans faillir, bien que l’on aura remarqué les intervalles de plus en plus longs entre les films et la faiblesse progressive du nombre des entrées, bien loin des scores des films des années 80, la daube blierienne ne paraissant plus être au goût du jour. Insistance qui devient gênante plutôt qu’elle ne lève les enthousiasmes. Faire un film reposant quasi uniquement sur des sentiments tels que le mépris, la bêtise, le cynisme, le dégoût, le ricanement et le sarcasme décourage assez rapidement si on considère la critique de cinéma ou le plaisir à disserter autour des films, à l’instar de Jean Douchet, comme étant « l’art d’aimer ».

Cette image de la bouffe qui hante le cinéma blierien, qui concentre si visiblement les rances conservatismes du cinéma de qualité française et contre lequel s’est farouchement opposée la Nouvelle Vague (12), Blier ne s’en départit pas, renchérit sur elle plutôt (13). La brasserie Blier et son volant de brèves de comptoir éventées, ce n’est pas vraiment La Grande Bouffe de Marco Ferreri et sa critique (encore) radicale de la société de consommation, mais au contraire la « mal-bouffe », image d’une vie qui n’inspire que haine et ressentiment (14) et qui consiste à distribuer à la façon mécanique d’un métronome les pains, un coup à/sur la droite, un coup sur la/à gauche, puis à réconcilier – ne fâchons personne – tout ce beau linge (sale) dans un lit qui, comme le veut sûrement le bon sens populaire, ignore ou transcende les clivages de classe ou politiques (les bourgeois copains comme cochon se partageant les beaux restes de leur femme de ménage commune : cf. Une Femme de Ménage de Claude Berri l’année dernière, bien sûr le même sujet, mais une certaine affection en plus). Gageons que les convaincus n’auront pas été ébranlés par un jeu de massacre profondément inopérant et auront plutôt été renforcés dans leur base : c’est dire l’échec des Côtelettes qui, ne l’oublions pas, a été produit là aussi par une belle brochette, Luc Besson, TF1 et Hachette (qui appartient à l’empire Lagardère), ce qui ne pouvait laisser augurer que du pire.

  Les Côtelettes (c) D.R.

Blier aurait pu tout aussi bien s’inspirer de la faconde d’un auteur tel Sacha Guitry s’il n’insistait pas jusqu’au sabordage à vouloir tout souligner, tant sur le versant musical (air dramatique lorsque la scène est dramatique) et sonore (klaxon de pompier hors-champ au moment où Bouquet parle de ses érections) que sur le plan visuel (une traversée d’un sous-bois au moment où la parole de Bouquet bifurque et se perd). Merci le film, par trop redondant, même pas confiant dans la supposée puissance de son texte. Trop moche pour nous de plus puisque l’ultime pirouette de l’instigateur de cet hospice qu’est le film (hasard que d’y croiser une ambulance ?) est de se décharger de l’imbécillité des propos (racistes, sexistes, homophobes et bourrés des pires et vils lieux communs) qui y sont tenus en feignant de les rapporter à ses bouffons de personnages et à eux seuls. L’esquive est facile (c’est la même parade que celle adoptée par Michel Houellebecq défendant ses livres : « ce n’est pas moi qui parle, c’est mon personnage qui s’appelle Michel ! »), elle permet tous les degrés de lecture, contentant tous les publics, des plus malins aux plus bêtes puisque c’est ainsi que Blier les considère seulement. « Le culte des transgressions (…) conduit à faire du cynisme un des Beaux-Arts. Instituer en règle de vie le « anything goes » post-moderne, et s’autoriser à jouer simultanément ou successivement sur tous les tableaux, c’est se donner le moyen de «tout avoir et rien payer»  » (Pierre Bourdieu, Contre-Feux, Raisons d’agir, 1998, p.19). Ces lignes implacables étaient consacrées à Philippe Sollers, elles conviennent à un réalisateur, sorte de Jean-Pierre Coffe du cinéma dont le film ratatiné n’est que le refuge de sa sénescence avancée et pitoyable (15).