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  Ang Lee (c) D.R.

Dans la version du petit écran, le personnage de Hulk était interprété par le culturiste Lou Ferrigno. Vu les effets spéciaux de l’époque, la force herculéenne de Hulk se résumait à quelques soulèvements de structures en carton-pâte et à un grand nombre de mugissements néandertaliens. Pouvant s’appuyer sur un éventail de techniques visuelles beaucoup plus large, Ang Lee décide de recourir non plus à un acteur humain, mais à une créature en images de synthèse pour « interpréter » le monstre. Fini donc Lou Ferrigno - qui fait une minuscule apparition dans le film -, ses cheveux en bataille, son bermuda déchiré et son colorant vert, et place à… une sorte de Shrek version XXL !

Dès que le monstre verdâtre apparaît à l’écran, la messe est dite, l’affaire est faite : le film, c’est sûr, va sombrer dans le ridicule le plus complet. Il y avait déjà ici et là quelques incohérences. Comment le personnage de Bruce Banner peut-il avoir rompu avec sa collègue Betty Ross, alors que cette Betty Ross est interprétée par Jennifer Connelly ? C’est vrai qu’Ang Lee montre à grands renforts de flash-back combien Bruce Banner avait, dès son plus jeune âge, un psychisme troublé, mais quel homme aussi déglingué des synapses soit-il pourrait se séparer de la plus sexy, et pas la moins douée, des actrices américaines du moment ! Il y avait aussi quelques longueurs. La mise en place des cinq personnages principaux, qui doit durer presque une heure, est assez pesante. Le scénariste James Schamus, fidèle compagnon de route d’Ang Lee (il a participé à l’écriture de la plupart des précédents long-métrages du réalisateur), s’étant appesanti sur des petits riens (le méchant Glenn Talbot est par exemple d’une insignifiance rare) au lieu d’aller à l’essentiel. Mais fondamentalement The Hulk tenait encore assez bien la route.

The Hulk (c) D.R.

L’arrivée en plein cadre du bonhomme vert pousse le film dans le fossé et l’y embourbe définitivement. Un peu comme pour l’espèce de dragon de Komodo numérique qui servait de bête de Gévaudan dans le décevant Le Pacte des Loups de Christopher Gans, l’apparition attendue - c’est quand même censé être le clou du film - du monstrueux Hulk fait plus rire que trembler. Difficile en effet de ne pas décrocher du récit face à cette chose verdâtre qu’il serait compliqué de décrire tellement elle ne ressemble à rien. En tout cas à rien d’humain, et c’est bien là le problème. Malgré les imperfections de l’époque, l’interprétation de Lou Ferrigno était troublante. Avec ses muscles surdéveloppés et sa couleur menthe à l’eau, la bête ne faisait pas vraiment peur, mais impressionnait. La persistance de l’humanité de Ferrigno derrière le masque de Hulk collait parfaitement aux idées développées dans la B.D. Elle soulignait ce côté Docteur Jekyll et Mister Hyde des temps modernes, cette lutte d’un homme contre lui-même, contre sa colère, contre sa folie, qui faisaient le sel du personnage inventé par Stan Lee. En rendant Hulk virtuel, en le privant de lien avec notre espèce, Ang Lee empêche l’adhésion du spectateur à l’histoire. Comment ressentir une quelconque émotion pour un gros tas de chewing-gum à la chlorophylle mesurant plus de trois mètres de haut, réalisant des bonds de plusieurs kilomètres et courant à une vitesse qui serait prohibée sur autoroute ?

Les spécialistes d’ILM (Industrial Light & Magic) en charge des effets visuels sont responsables de ce ratage. Ces dernières années, plusieurs créatures réalisées en images de synthèse ont réussi à s’intégrer dans une histoire sans mettre le spectateur à distance. Dans le deuxième tome du Seigneur des Anneaux, Peter Jackson a lui aussi intégré un personnage conçu en images de synthèse - le Gollum -, mais ce dernier prenait véritablement chair et suscitait de véritables émotions chez le spectateur. Pour The Hulk, la technique est donc défaillante. Mais, plus agaçant, l’erreur de casting - si on peut l’appeler ainsi - résulte d’une interprétation très partiale du désir des habitués des salles obscures. « De nos jours, plus personne n’accepterait un acteur humain dans un maquillage vert aussi fort et musclé soit-il, même renforcé par la robotique », déclare ainsi le superviseur des effets visuels Dennis Muren. Archi-faux ! Personne ne va au cinéma pour s’émerveiller sur un bon agencement de pixels, du moins pas en premier lieu. L’on rentre dans une salle obscure pour quitter la réalité et se plonger corps et âme dans une histoire, ressentir des émotions, rire, pleurer, avoir peur, se prendre une décharge d’adrénaline… Et c’est précisément ce qui manque à The Hulk. De la vie.