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Les Sept Samouraïs (c) D.R.

Comme chez les Expressionnistes, Lang en tête avec ses mouvements de foule, révolutionnaire, réactive, c’est au travers d’une vision large du groupe, de ses errances - Dodeskaden -, de ses mouvements de colère ou de ses aspirations - Entre le Ciel et l’Enfer, L’Ange Ivre - que la foule se disloque et laisse paraître l’individualité qui s’en trouve comme renouvelée. Les hommes alignés et prêts à se séparer dans une parade expressionniste, comme auparavant Eisenstein alignait les combattants de la Grande Russie contre les soldats de Kazan, tiennent de cette contradiction : l’ordre existe, il a progressivement gagné toutes les strates de la population renforcée ou, au contraire, contrariée par ce système, tout en donnant l’apparence de cohésion à la société dans son ensemble. Le soldat est gracieux, efficace, sa maîtrise des arts ancestraux en fait plus qu’un champion efficient, une mécanique imparable. Il peut, en cela et à l’instar de Shimura Takashi dans Les Sept Samouraïs, relever n’importe quel défi. La fin du film est quant à elle plus équivoque, après avoir secouru le village assiégé par les bandits, les trois samouraïs survivants contemplent le terre-plein ou leurs compagnons sont enterrés, quelques mètres au-dessus des modestes paysans. L’homme traverse l’existence au sein d’une communauté qui, souvent, l’exclut -on ne compte plus les personnages solitaires ou marginaux attribués à Toshiro Mifune particulièrement, le malade paria de L’Ange Ivre ou le Ronin de Yojimbo -, le terme du labeur se trouve seul dans la mort. Si la société ne sait apporter de signifiant, Kurosawa promeut une recherche personnelle, poétique toujours, la quête de l’esprit libre pour donner sens et justifier l’existence passée. C’est dans la lutte qu’apparaît la possibilité de raisonnement.

  Akira Kurosawa (c) D.R.

On pense à Roland Barthes, pour qui cette société du Zen « mène la guerre contre la prévarication du sens » et « déjoue la voie fatale de toute assertion »  (Roland Barthes, L’Empire des Signes), et où l’homme a finalement tant de mal à justifier sa propre identité, et son individualité. Aussi ces personnages solitaires qui vont seuls jusqu’à leur destinée - c’est le cas du vieillard de Vivre, du vieux professeur de Madadayo - sont souvent fantaisistes, considérés comme idiots. C’est ce moment décisif que filme Kurosawa, le moment où l’existence monotone et routinière gagne en sens. Les plus jeunes - Toshiro Mifune au début de sa carrière - trouvent la mort dans les combats et les duels claniques, dans la boue, la saleté et la trahison, les plus âgés - Shimura Takashi - dans la maladie et la vieillesse. La mort, violente ou plus simplement douce est un révélateur, plus encore, c’est un point où porter le regard, c’est le moment où, dans une société toute entière portée vers la mort, l’homme se trouve seul, avec ses appréhensions et ses incertitudes, et choisit sa liberté. Il rejoint là l’innocence de cet « idiot », bien trop candide pour ne pas remettre en cause les attentes de la communauté, c’est l’événement terrible qui lui accorde l’affranchissement véritable.

Ce regard, celui de l’idiot et du candide, Kurosawa l’aura eu toute sa vie durant, on retiendra sa participation au manifeste des cinéastes japonais en faveur de la réintégration de Langlois à la Cinémathèque. Il se bat sans faiblir, se sachant faisant face à des ennemis puissants, ces studios qui font les carrières et monnayent le talent ; si, à l’instar du personnage de Dostoievski, « il ne sait rien, ne comprend rien, ni les hommes, ni les sons, étranger à toute chose » c’est cette innocence qui lui confère la grâce, et son esprit, et c’est dans la distance qu’il met entre lui et ses contemporains qu’il obtient la justesse inégalée de son regard.