Annuaire boutique
Librairie Lis-Voir
PriceMinister
Amazon
Fnac

     

 

 

 

 

 
Rashomon (c) D.R.

C’est Rashomon (1950) qui permit à l’auteur de s’ouvrir à un nouveau public, européen et peut-être français plus particulièrement, qui reconnut en Kurosawa l’un des grands cinéastes de son époque. La même année, le film est salué à Cannes par le prix de la mise en scène. On connaît l’histoire de Rashomon, la chronique noire d’un meurtre et d’un viol non-élucidés, narrée consécutivement par trois personnages qui rapportent, chacun à leur manière et de façon parfaitement contradictoire, un témoignage qui perd rapidement tout caractère d’authenticité. C’est devant un tribunal que les personnages témoignent, et si le juge, assis-là, on l’imagine, à écouter patiemment les dépositions des témoins, et à compiler les détails de leurs mésaventures pour aboutir à la résolution de l’énigme, est absent, invisible, c’est le signe, selon le metteur en scène, qu’il n’est point de vérité dans un pays occupé.

Film sur la vérité, Rashomon accède au rang de film métaphysique par ce qu’il refuse de dévoiler, par ses non-dits et ses mensonges.

Le Japonais, finalement vaincu et épuisé par les années de guerre, doit, selon le code en vigueur des organismes de censure américains, le Civil Censorship Detachment et le Center of Information and Education tous deux fondés en 1945, promouvoir la production de films plus ouvertement anti-militaristes au détriment d’œuvres traditionnelles et typiquement japonaises, les « Jidai-geki » ou films d’époque et les « Ken-geki » ou films de sabre. C’est la culture japonaise et asiatique qu’on semble soupçonner largement, en lui demandant distinctement de s’occidentaliser.

  Akira Kurosawa (c) D.R.

L’influence est double venant de l’auteur. D’une part, avec ses Ken-geki et précédant les films de Hong-Kong, il pousse malgré-lui à l’orientalisation des scènes de combat, des films de Sam Peckinpah, bien sûr, aux jeux d’épées de Star Wars dans lequel devait, un temps, figurer Mifune. Le combat n’est plus ce simple règlement de compte comme on en rencontre dans la mythologie américaine, ce n’est plus une commode résolution de conflit, celui-ci implique dorénavant une participation du corps dans son entier, avec l’arme comme prolongement du bras, voir les samouraï des Ken-geki à l’œuvre, c’est apprécier un art total qui, à la façon du cinéma, donne à voir l’homme, son anatomie et son caractère.

L’existence de Kurosawa est marqué par ce combat ininterrompu contre la censure d’état et le marché international du film. On prend avantage de l’œuvre, de son esthétique et de sa plastique, on le dépossède tant et si bien que son travail s’impose comme essentiel pour ce cinéma occidental trop européen, trop américain, et empêché de progresser, et fait se régénérer une industrie qui l’abandonne trop souvent à la marge comme peu de cinéastes auparavant. C’est l’esthétique qu’on escamote avec ce Japon occidentalisé cher à l’auteur, ce Japon d’après-guerre, terreau traditionnel occupé par l’Amérique, à mi-chemin, entre deux mondes opposés, anciens ennemis et compagnons de fortune, mi-obligés mi-passionnés par la découverte de deux sociétés différentes et forcées à cohabiter.