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  John Ford (c) D.R.

The Informer est le récit bouleversant de la dislocation d’un sujet issu d’un peuple clivé, comme celui des processus de leur dés-alliance réciproque. Et c’est aussi confondant de justesse que la tragédie provençale de Toni de Jean Renoir, qui est à peu près contemporaine de The Informer (1935). Et la formule célèbre de La Règle du Jeu (« Ce qu’il y a de plus terrible en ce monde, c’est que tout le monde a ses raisons ») peut tout à fait s’appliquer à ce film. On n’aura peut-être d’ailleurs jamais souligné chez ces deux-là l’originalité d’une approche matérialiste et sociologique (il est aussi là le documentaire, pas seulement dans la prise de vue) en forme de peinture réaliste et critique des aliénations socioculturelles de leur temps. (2)

Pour s’en convaincre, il suffit de se reporter au petit livret très bien fait accompagnant le DVD et rédigé par un critique des Cahiers du Cinéma, Jérôme Larcher, mais aussi aux fameux bonus. Cela va d’une intervention (sonore et musclée) de Samuel Fuller, qui pour le coup moucharde à son tour quand il retrouve le nom de l’homme (Burt Kelly) qui a failli faire interrompre le film à l’époque, mais émeut lorsqu’il avoue qu’il s’agit là de son film préféré avec Grapes of Wrath (la partition de Max Steiner était révolutionnaire, affirme-t-il, puisqu’elle était la première musique originale d’une œuvre cinématographique) dont le décor servit des décennies plus tard à celui de son Shock Corridor et dont l’influence est à moitié avouée pour son premier long-métrage : Shot Jessie James, à celle plus théorique et didactique du critique américain Tag Gallagher, insistant sur la force géométrique des plans. Tous disent à leur manière en quoi The Informer et son maître d’œuvre nous importent, même si le cinéaste a réalisé des films supérieurs, moins insistants et plus épurés.

Grapes of Wrath (c) D.R.

Seul Ford, lors d’une interview (toujours sonore) rarissime, réalisée par son petit-fils, semble conserver son visage de sphinx en évoquant sa jeunesse, sa maman (et il prouve encore avec ce film combien il est le plus grand filmeur de mères de l’histoire du cinéma) et le soin qu’il a apporté à un film (scénarisé par le fidèle Dudley Nichols) auquel on ne croyait guère et qui se révéla être son plus grand succès (il remporta son premier Oscar, ainsi que Victor MacLaglen pour sa composition). Moins disert qu’un Hitchcock (et c’est un euphémisme) comme l’avait bien montré André S. Labarthe dans son film Le Loup et l’Agneau, Ford laisse généreusement l’émotion, la glose et la théorie pour nous ; pour lui, comme cinéaste et comme producteur quasi-exclusif de toute son œuvre, il ne s’est agi que de son travail, que de sa vie.


John Ford est un pragmatiste tragique

Partir, oui, mais le corps et le cœur paradoxalement légers du savoir irréprochable que l’on a désormais sur son désir de s’installer ailleurs. Le boxeur de The quiet man en a gros sur la conscience (la mort involontaire d’un adversaire sur le ring) lorsqu’il revient dans son Irlande natale (fantasmée, elle est aussi celle de l’enfance de Ford comme de son acteur Victor MacLaglen) ; la doctoresse de Seven Women se livre toute entière au combat qu’elle mène en frontière chinoise parce qu’elle ne veut plus entendre parler des insuccès de son passé, notamment relatifs à sa vie sexuelle ratée. Quand on voulait accéder, pour le meilleur mais aussi pour le pire, au mythe attractif et vivant que représentait l’Amérique dans certains films des années 30, on s’en retire comme victime de celui-ci ou promis à une errance sans fin (The Searchers, Cheyenne Autumn) dans d’autres films durant les années 50 et 60. Le mythe américain, mais également l’histoire en général (Fort Apache, The Man who shot Liberty Valance), ne sont pas la hauteur de l’immensité des personnages d’un cinéaste qui, probablement sans l’avoir jamais lue, a su tranquillement dépasser la philosophie hégélienne sans rien en dissoudre, à l’instar de Marx, des puissances actives de la contradiction et de la dialectique.