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Nous en sommes aujourd’hui arrivés à Hollywood
au troisième stade de la figuration du super-héros :
sur le mode idéologique-collectif, Super-Man a représenté
l’âge héroïque et sans trouble (sans problématique), enfantin,
de celui qui, bien reçu par sa planète d’accueil confondue
évidemment avec son pays d’adoption (les U.S.A.) et lui devant
en conséquence tout, fait son possible pour la préserver de
ceux qui veulent lui nuire (les années 80, l’ère Reagan)
; sur le mode idéologique-individuel, Bat-Man a représenté
l’âge problématique et nébuleux de celui qui n’arrive pas
à surmonter la rémanence psychologique et affective (autrement
dit mélancolique) d’un traumatisant et ineffaçable souvenir
d’enfance (1) (ses parents assassinés par un malfrat)
et qui s’en remet à l’assistance policière afin de tenter
d’exténuer la vitalité obsédante d’une image meurtrière impossible
à assassiner (les années 90, l’ère Bush) ; enfin sur
le mode idéologique-schizophrénique, Spider-Man représente
désormais un autre âge problématique (les années 2000, l’ère
Bush jr.), celui des affres et des tourments, que souligne
symboliquement le basculement de l’adolescence à l’âge adulte,
du contrat moral, c’est-à-dire de la reconnaissance empêchée
(en tant qu’homme sexué – Peter Parker face à Mary-Jane Watson,
en tant qu’héros sans ambiguïté – Spider-Man face à J.J. Jameson)
et du tiraillement entre une logique purement individualiste
d’un « agencement de désir » (Gilles Deleuze) et
la responsabilisation au niveau du collectif induit par ce
nouveau statut (2) que représente idéalement dans le
film de Sam Raimi la grande scène de dilemme proposée par
le Bouffon vert : sauver les enfants ou sa bien-aimée.
Super-Man, c’est l’enfant qui veut toujours faire plaisir
à ses parents, anciens (la planète Krypton) ou nouveaux (Terre-U.S.A.) :
il ne veut même faire que cela. La surhumanisation se vit
sur le mode heureux, asexué et pacifié-pacifiant : il
ne s’agit là en somme que d’un pur principe de plaisir arrimé
à l’autorité parentale. Bat-Man, c’est l’enfant qui
ne se remet jamais de la perte de ses parents, légitimant
ainsi la substitution d’un ordre naturel absent (dont l’absence
signe la présence affective) à un ordre structuré sur le mode
pathologique du fétiche (les gadgets comme prothèses remplaçant
artificiellement les organes parentaux disparus). La surhumanisation
se vit ainsi sur le mode d’une perduration maladive d’une
enfance brisée dont l’impossible évacuation par le travail
du deuil sert conséquemment les intérêts du collectif (comme
s’il n’y a pas suffisamment de malfrats à arrêter pour pouvoir
atténuer sa douleur). Spider-Man enfin, c’est l’enfant
en mal de reconnaissance, celui qui rêvait de passer au rôle
d’adulte (pour pouvoir étreindre la femme qu’il aime) alors
que dans le même mouvement ce rôle qui l’oblige à une responsabilisation
forcenée est contesté par une autorité qu’il sert malgré tout.
La surhumanisation devient problématiquement source conflictuelle
(l’araignée, symbole archaïque du féminin qui effraie le masculin
– cf. la timidité de Peter face à Mary-Jane – qui devient
en toute logique ici le blason du héros, fascine et terrorise
à la fois) de l’avènement douloureux d’un soi-pour-les-autres
dont le dévouement ne cesse d’être molesté publiquement.
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Si l’on souhaite comparer Spider-Man
à The Fly (1986) de David Cronenberg par exemple pour
demeurer dans la catégorie des films qui voient se croiser
l’homme et l’insecte, on constatera aisément, au-delà du fait
que le personnage du film de Cronenberg n’est pas, loin s’en
faut, un super-héros, que le problème de Peter Parker est
d’ordre moral (il faut s’occuper du bien commun) quand celui
du héros qu’interprète Jeff Goldblum est d’ordre éthique (il
n’y a que mon chemin qui rentre en ligne de compte). La radicalité
de l’existentialisme cronenbergien, radicalité nietzschéenne
(en cela, son film était un pur film d’auteur) n’a que faire
du contrat social : sa seule volonté s’épanchait du côté
de ce que pouvait l’esprit à force de reconsidérations du
corps et de ses organes. Le film de Sam Raimi, parce qu’aussi
c’est un film produit par les studios, n’envisage son héros
que dans la perspective d’un rapport obligé aux autres et
à la responsabilisation collective et sociale qu’il impose.
A la limite, le vrai double négatif de Spider-Man serait plutôt
à chercher du côté de Hollow Man (2000) du freudien
Paul Verhoeven (qui, pour l’occasion, s’en remettait
même à l’anneau de Gygès de Platon pour réaliser sa fable)
: si l’on reste dans le champ de la morale humaniste, c’est
pour perversement le retourner en tout sens (on sait que le
héros usait de son pouvoir d’invisibilité pour accomplir,
non pas le Mal comme le veut la lecture manichéenne des événements
par l’Amérique, mais l’assouvissement de pulsions de domination)
(3).
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