LE
FANTASTIQUE INTERESSE NOS CINEASTES LES PLUS POPULAIRES
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Progressivement, le fantastique
se propage dans les fictions de manière plus ou moins explicite
et intéresse des cinéastes populaires. Alain Resnais en fait
partie. Dans un registre diamétralement opposé, il propose
une réflexion sur le sens de la vie avec Je t’aime, je
t’aime (1968), une fiction déroutante et magnifique montrant
le parcours intérieur d’un homme qui, après une tentative
de suicide, se prête à une expérience scientifique : un voyage
dans le temps. Il est ainsi projeté dans son passé et se retrouve
heureux, auprès de sa femme, un an auparavant. En sus d’être
une curiosité dans la filmographie de ce grand cinéaste français,
ce film, que l’on peut résumer en un « Solaris lynchien
», lorgne vers La Jetée de Chris Marker. Flirtant avec
la SF, Resnais adopte un procédé narratif qui, en lui-même,
se révèle être très déconcertant : il consiste à repasser
plusieurs fois les mêmes scènes en annihilant toute forme
de linéarité. Le but est alors de remettre en question le
spectateur sur ce qu’il vient de voir. Et c’est relativement
perturbant : à chaque fois que nous revoyons la même scène,
Resnais rajoute quelques secondes et des bribes d’informations
en plus. Bercé par une musique aérienne qui renforce l’onirisme,
ce drame bénéficie de la prestation bouleversante de Claude
Rich et fonctionne grâce à une poignée de séquences marquantes
(comme le personnage principal qui sort de la mer à plusieurs
reprises en prononçant les mêmes phrases).
Parmi les autres réalisateurs de films plus conventionnels
qui s’intéressent soudainement à ce genre peu fréquenté et
donc audacieux pour l’époque, notons également l’engouement
de Claude Chabrol qui laissait en 1977 sa verve antibourgeoise
de côté pour musarder du côté des fictions branques, où l’onirisme
et le réel se cherchent joliment des noises. Le film sera
Alice ou la dernière Fugue. Par une nuit noire, une
voiture roule sous une pluie torrentielle, dérape et vient
percuter un obstacle. Alice, la conductrice, sortie miraculeusement
indemne, se met à la recherche d'un abri. La lumière d'une
maison isolée l'attire, son propriétaire semble la connaître
et l'invite à passer la nuit. Le matin venu, elle se retrouve
seule. Déconcertée, Alice veut quitter les lieux, mais la
fuite s'avère impossible, tous les chemins empruntés la ramènent
à son point de départ... Ne le cachons pas : la perte de soi
au cinéma est un de ces paradoxes pervers que nous aimons
tous. Loin de ses thrillers et de ses conventions, Chabrol
s’aventure là, non sans risques, en adaptant à sa façon le
conte Alice aux pays des merveilles. Il donne le premier
rôle à Sylvia - Emmanuelle - Krystel et aligne les seconds
rôles tous aussi extravagants les uns que les autres. Charles
Vanel se distingue en vieil homme lubrique et mystérieux.
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Le film se présente alors
comme une succession de saynètes symboliques qui sont toutes
pourvues de significations particulières. Ce rébus sibyllin
est fascinant tant il se révèle étonnant de richesse et tant
on prend du plaisir à déchiffrer toutes ces équations aux
solutions improbables. Le final, éblouissant, trahit pourtant
l’influence (in)volontaire de Chabrol qui signait ici un remake
déguisé de Carnival Of Souls. Cela étant, Alice
ou la dernière fugue reste honorable et suffisamment intrigant
pour alimenter les interrogations. Tout comme Chabrol, Jean-Pierre
Mocky s’est également montré très enthousiaste avec le fantastique.
En 1981, c’est à son tour de quitter les brûlots anticléricaux,
satiriques et véhéments et de mettre en scène Litan,
une sorte de Dead can dance fascinant, montrant un
couple de passage dans une ville étrange où l’on célèbre les
morts. Sorti à peu près en même temps que son Y a-t-il
un Français dans la salle ?, fable politique qui prenait
(déjà) la forme d’un film choral pour révéler les névroses
secrètes de personnages fâchés avec la vie (quand on vous
dit que cet homme-là est grand !), ce beau petit film fantastique
ne semble pas prendre au sérieux le bazar de la série Z et
préfère s’amuser avec ses personnages complètement fous. On
est constamment au bord du Grand Guignol, mais l’honnêteté
de l’ensemble et la puissance atmosphérique jouent en sa faveur.
Dommage cependant que la résolution de l’intrigue et les explications
soient si pragmatiques. Il faudra attendre 1995 et Noir
comme le souvenir, pour que JPM refasse une nouvelle tentative
dans ce genre qui, décidément, semble le turlupiner.
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