Inspiré par un reportage journalistique,
Kieslowski suit, caméra au poing, la perte des illusions de
Stefan Bednaz, ingénieur en chef du projet qui lutte, tel
Don Quichotte, contre l’inertie bureaucratique de sa hiérarchie
et la vision à court terme des habitants. Malgré quelques
facéties stylistiques désavouées d’ailleurs par l’auteur,
le film conserve l’ascétisme formelle de ses documentaires
: son en prise directe, cadrage serré sur Stefan, rares travellings,
musique en arrière-plan. Le destin de Stefan en est d’autant
plus saisissant. L’Amateur, Le Hasard et Sans
Fin conserveront cette approche documentaire. Krzysztof
Kieslowski a cependant l’intelligence de ne pas en faire un
dogme absolu. Il s’autorise parfois de magnifiques mouvements
d’appareil et signe souvent des plans d’une beauté esthétique
instantanée. Le final digne d’Andreï Tarkovski de Sans
Fin en est l’exemple le plus significatif. L’Amateur,
apprentissage à l’art cinématographique d’un ouvrier qui devient
peu à peu un réalisateur au sens noble du terme est son film
le plus intéressant sur le plan de la mise en scène.
Très autobiographique, L’Amateur est un concentré théorique.
Comme le héros du film, Krzysztof Kieslowski passera différentes
étapes de l’enregistrement du réel au regard extérieur, forcément
politisé sur la condition humaine. Son parcours rejoint donc
celui de l’ouvrier, Filip qui, en s’offrant une caméra super
8, s’initie à la mise en scène. Le cinéma est d’abord un moyen
d’expression personnelle (première partie du film). Filip
filme ce qui se présente à lui, sans intervenir sur les
évènements. Puis il commence à modifier son environnement,
à provoquer des petites saynètes. Il découvre ensuite le montage,
la technique, et devient au contact d’enseignants, un vrai
cinéphile. A la fin du film, le constat est cruel: l’apprenti
cinéaste est seul, abandonné de tous, mais a sa conscience
artistique en paix. Impossible de ne pas penser au destin
de Krzysztof Kieslowski dont les deux films suivants, Le
Hasard et Sans fin seront censurés par les autorités
politiques de son pays, entré sous le joug de la loi martiale
du Général Jaruselski après les grèves initiées par le syndicat
Solidarnosc.
Un discours politique
Sans être un cinéaste militant comme
son compatriote Andrzej Wajda, Krzysztof Kieslowski dresse
un portrait peu reluisant de la Pologne des années 70-80 engluée
dans la bureaucratie et l’autoritarisme d’état. Dans La
Cicatrice, le personnage principal, Stefan, se heurte
au mutisme de ses dirigeants, obnubilés par leurs carrières
respectives. Le cinéaste filme des petits hommes en costards
qui bavardent sans fin dans des réunions enfumées d’où ne
sort que des bribes d’injonctions. On n’est pas si loin du
Brazil de Terry Gilliam, tant certaines décisions semblent
uniquement motivées par un goût ironique pour l’absurde. Kieslowski
nous montre un pays rouillé, sans vie, étranglé par son mode
de fonctionnement et le poids de sa hiérarchie sociale. L’Amateur
confirme ce point de vue. La prise de décision individuelle
est sans cesse remise en question par l’omnipotence du parti.
Seules les grandes grèves ouvrières menées alors par le syndicat
Solidarnosc parviendront à modifier la profonde inertie d’un
système bureaucratique.
1981. Le Général Wojciech Jaruzelski arrive au pouvoir et
proclame la loi martiale pour mettre fin aux grandes grèves
ouvrières. Dans ce climat de guerre civile, Krzysztof Kieslowski
écrit et réalise Le Hasard, son premier chef d’œuvre
dont la portée politique est indéniable. Le film est composé
de trois segments distincts qui questionnent le spectateur
sur son libre arbitre. Witek, étudiant en médecine, vient
de perdre son père après une longue maladie. Il désire changer
radicalement de vie et souhaite prendre le train pour Varsovie.
De là, trois destins possibles. Il réussit à entrer dans le
train et se retrouve mêlé à une grève étudiante. Il la résout
avec habilité et devient un cadre du parti communiste. Son
engagement politique nuira à sa relation sentimentale avec
son amour de jeunesse, militante révolutionnaire. Deuxième
possibilité : il rate le train et de rage, met à terre un
cheminot. Il sera condamné à des travaux d’intérêts généraux
et de fil en aiguille entrera dans la résistance et épousera
la religion catholique. Troisième option : il rate le
train, mais garde son sang froid. Il renoue avec son amie
et mène une vie tranquille vers un funeste destin.