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On connaît la chanson (c) D.R.

La plupart de ses films prennent pour départ une histoire assez simple et facilement identifiable, volontairement dépouillée dans sa mise en scène, mais à laquelle l’auteur laisse volontairement une part d’ombre, une réalité à plusieurs étages, une irrationalité qui la confine au mystère, à une inaccessibilité qui nous laisse pantois mais éperdument curieux. Ces personnages qu’on croyait comprendre, saisir dans leurs angoisses et leurs désirs, nous échappent finalement. Ils se sauvent dans cet autre monde, voyage dans un autre temps, et se révèlent alors d’une profondeur insondable. Sabine Azéma est l’incarnation de ce vertige par excellence (L’Amour à mort, Mélo, Smoking/No smoking, On connaît la chanson). Mais Alain Resnais n’a pas la moindre prétention de se prendre pour ce surhomme capable de déceler ces ambiguïtés humaines que nul autre ne serait voir. Paradoxalement, sous couvert d’une mise en scène des plus strictes où le hasard ne semble pas de mise, le réalisateur laisse volontairement son film s’échapper, s’envoler pour rejoindre l’insaisissable, l’abstraction de l’âme humaine. La faiblesse de ses propres personnages ne peut être autre que le propre de sa remise en question personnelle. Lorsque dans On connaît la chanson, il décide d’injecter ce souffle de culture populaire, il n’a d’autres objectifs que de s’interroger lui-même sur l’authenticité même de son propos et de sa création. En rendant les personnages incapables de choisir une autre vie ou un autre discours que ceux chantés et martelés par la masse, il ne fait qu’assumer pleinement les pièges et les revers de la mémoire collective composée de tous et de chacun. Lui-même sait qu’il reproduit inconsciemment ce qui l’a éveillé à la passion du cinéma et, à l’occasion, remet en cause ce principe de vérité et d’authenticité auquel le cinéma français a toujours beaucoup prétendu. Cette quête d’un idéal désespéré est le moteur même de sa filmographie, et ne peut s’épanouir qu’en s’interrogeant sur les principes sociaux et politiques qui régissent notre quotidien et composent notre histoire. Volontairement ancré à gauche, le parti pris de ses films est avant tout de dénoncer l’irresponsabilité de l’individu paradoxalement rationnel qui n’hésite pas à se détourner des sentiments et de l’humanisme pour sauver ses propres intérêts, qui ne relèvent finalement que du stratagème.

Le film qui semble en être le plus représentatif en même temps qu’il affirme son unité dans la filmographie de Resnais est probablement Mélo, adaptation d’une pièce d’Henri Bernstein, réalisé en 1986. Il fut tourné avec des acteurs devenus fétiches dont le couple Arditi-Azéma, récurrent dans la majeure partie des œuvres réalisées durant ces deux dernières décennies. Une simple histoire d’adultère impossible se pose comme point de départ de cette œuvre à la fois limpide de par sa mise en scène minimaliste et théâtralisée, mais qui reste profondément obscure, à l’image de cette nuit étoilée artificielle qui sert de décor à la première scène. Mélo est un titre court et mystérieux comme la moitié d’un tout ; on pense à mélodrame, mais aussi à la mélancolie, le souvenir d’un sentiment amoureux révolu, et enfin mélo comme cette mélodie de Brahms qui ponctue régulièrement la passion exacerbée et sensuelle que ressent Romaine (Sabine Azéma) pour Marcel (André Dussolier). Film cruel car axé sur l’indispensable besoin de survie, Mélo est le constat d’un échec, d’une impossibilité à se dépasser pour pouvoir atteindre l’autre dans sa solitude. Romaine est emportée, passionnée, une femme-enfant qui se fout des détails et ne cherche que le sentiment. Dès la première scène, elle fait face à deux hommes profondément cartésiens : son mari, Pierre, dévoué et sûr de son bonheur qui ne souffre que physiquement et Marcel, l’ami de celui-ci, qui ne supporte pas le mensonge de l’autre mais qui vit constamment dans le sien.