Cora Levine est docteur en psychiatrie à l'hôpital de Liège, en Belgique. Elle est jeune, jolie, épanouie, choyée par un amant « poète » et tendre. Elle est disponible, ouverte et sensible aux attentes de ses patients. Son emploi est un véritable sacerdoce, un choix délibéré d'aider ceux qui sont dans la détresse psychologique. Bref, à première vue, Cora est un personnage comblé que dépeint un tableau au bonheur parfait et idyllique.

Mais au-delà des apparences - sans lesquelles il n'y aurait pas d'histoire - on sent tout de même une fêlure qui entame le frêle personnage de la jeune psychiatre. Cora se lie d'amitié avec une jeune femme blonde, approximativement de son âge, dont le visage torturé et le comportement psychotique nous apprennent que la vie l'a rudoyée. Elle a été ramassée dans la rue et placée dans le centre dans lequel exerce Cora. Les autorités pensent qu'elle est dérangée. Par challenge, et aussi parce qu'elle ne peut résister aux appels de détresse que lancent ses deux yeux d'un bleu intense, la thérapeute va essayer obstinément d'entrer en contact avec ce personnage autiste. Elle ouvre son cœur à cette inconnue. On apprend alors que la psychiatre n'a pas connu ses parents, qu'elle a été élevée par ses grands-parents dont seul son aïeul est encore vivant ; « survivant » devrait-on préciser, puisque, même si l'emphase n'est pas mise sur le sujet, on se doute que le vieil homme est un rescapé de la Shoah. Sa petite-fille y est très attachée et veille sur lui comme sur la prunelle de ses yeux.

Par touches successives, que ce soit de façon drastique (la balade en forêt avec Loà et l'électrochoc causé par son abandon simulé en pleine nature) ou plus douce (la partie d'échec inattendue avec le grand-père de Cora), les contacts répétés et patients vont permettre à la jeune autiste de légèrement s'ouvrir sur le monde extérieur, de sortir de son isolement volontaire comme un animal effarouché qui pointerait son timide minois hors de sa tanière.

Un matin, alors que Cora se rend à son travail, elle découvre, stupéfaite, que sa protégée n'est plus dans son service. Sa supérieure lui apprend que Loà n'était pas du tout « dérangée » comme le laissait supposer son comportement quelque peu antisocial. C'est en fait une ressortissante d'un pays étranger qui ne connaît pas un mot de français. Par l'intermédiaire de l'ambassade de son pays, l'Islande en l'occurrence, elle est rapatriée dans son foyer, une petite île aux contours rébarbatifs et aux paysages oppressants qui répond, cependant, au doux Heimaey (en islandais, cela signifie « l'île-maison »). L'attachement que Cora éprouve à l'égard de Loà est si inconditionnel et si intense qu'elle n'hésite pas à embarquer pour l'Islande et de là, à rejoindre par bateau, le minuscule îlot dans les Vestmannaeyjar, l'endroit où réside Loà. Une fois sur place, Cora s'aperçoit que la réalité qu'elle imaginait, à savoir le placement de Loà dans un centre de soins avec suivis psychiatriques, ne correspond pas à la réalité. La jeune Islandaise est mariée à un époux fataliste, mère d'une jeune enfant qu'elle délaisse complètement. Elle possède même un emploi dans une usine de transformations de poissons. Mais le problème n'est pas pour autant résolu. Loà est comme un zombie, un fantôme. Son corps est tant bien que mal présent dans cette réalité aliénante mais son esprit est sans cesse ailleurs, prisonnier des limbes d'un monde plus chaleureux, plus accueillant. Loà rêve sans cesse d'un ailleurs où l'herbe serait plus verte, le soleil plus radieux, la vie plus facile. C'est décidé, Cora embarquera, de grès ou de force, son alter ego. Mais bien vite, elle se sentira impuissante face au sort résigné de Loà, confrontée à l'inertie de l'entourage familier de la femme cloîtré dans son mutisme. Cora comprendra alors que chacun doit suivre son destin. Elle apprendra, par là même, l'humilité et elle aussi, la résignation. La force des images au service d'une conviction inébranlable.