1991-1997 : une décade
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Et puis Tarantino obtint de Clint Eastwood la Palme d’Or
au festival de Cannes avec Pulp Fiction, ce film-monde,
et le cataclysme se produisit. Avec un élan et une cohérence
d’ensemble qui se constate a posteriori, du genre ébahissement
brumeux de gueule de bois, l’ère Tarantino vint : John
Woo cristallisait les désirs d’une décennie de cinéphilie
fétichiste par ses emprunts coquins, à dérouler en litanie
(en chœur : Jean-Pierre Melville, Jacques Demy, Sam Peckinpah…),
El Mariachi de Robert Rodriguez se tournait pour 7500
dollars à Tijuana disait-on, première rumeur pour beaucoup
de cinéphiles boutonneux avec son cortège de jouissances prises
à la colporter, et Quentin Tarantino, donc, devint l’un des
hérauts de tout ce fatras qu’étaient les années 90, et un
sésame pour la moitié des aspirants cinéastes de la planète.
Il était sur tous les fronts et son nom sur toutes les bouches.
Et il parla, beaucoup, sur le cinéma, parvenant toujours à
surprendre, à pointer du doigt des cinéastes et des films
« refoulés »; des paroles relayées par tous, au
point qu’il est aujourd’hui difficile de savoir ce qu’il a
effectivement contribué à faire re-connaître, tant sa griffe
de cinéphile obsessionnel a été apposée sur à peu tout et
n’importe quoi dans le cinéma de genre des trente dernières
années - relayant avec une constance consciencieuse la logorrhée
verbale de Martin Scorsese là où elle s’arrête, au milieu
des années 60. Comme beaucoup j’en étais, admiratif devant
le bonhomme, ce champion toute catégorie de la compétition
internationale de cinéphilie déviante qu’il initia pour beaucoup,
relaya pour d'autres (avec force grincements de dents et maugréments
devant son impolitesse, cet homme qui réinventait l’eau chaude
en s’appropriant des films bien connus), comme un gant à relever.
La frénésie s’enfla, le mythe du cinéaste autodidacte, nourri
au jus de sous-culture, doué d’ubiquité (aperçu dans un magasin
de vidéos hong-kongaises à Londres à 15h, croisé à la Cinémathèque
française le même soir), atteignit des proportions uniques.
Le phénomène prit ainsi en France, dans les premières années
de ces glorieuses années 90, des allures de guerre des tranchées
stratégiques en termes de représentation culturelle, avec
d’un côté les « éclairés » de l’académisme parisianiste
(le fameux Comment je me suis disputé…, notre Pulp
Fiction à nous), et de l’autre des tentatives plus ou
moins réussies de ressusciter le cadavre du « film de
genre » français à la sauce métisse. Le nom même de Tarantino
cristallisait ainsi une vieille querelle cinéphilique, souterraine
bien que prégnante, notamment dans les instances du goût,
entre les tenants - installés, surtout en France - d’une approche
du cinéma en tant que reflet d’une réalité, moyen commode
(« puisque c'est tout pareil que ce qu'on voit »)
d’approche du réel, et les amateurs d'histoire, qui reçoivent
ce qu'on leur raconte sans recul, acceptant que cela porte
en soi-même sa propre vérité. Une attitude qui d'ailleurs
aujourd'hui paraît bien lointaine, tant ce qui relève du genre,
même le plus honni, a désormais droit de cité un peu partout
: on projette même des films de kung-fu au festival des 3
Continents de Nantes, longtemps temple de l'ennui compatissant
pour les cinématographies « d'ailleurs ». Mais je
m'égare.
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