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  Jackie Brown (c) D.R.

Avec sa mise en scène aérée, se rappelant à la mémoire comme une succession de saynètes (au sens le plus bassement théâtral du terme) filmées en plan-séquence ou en champ contre champ, Jackie Brown oscille constamment entre le formatage filmique d’un produit télévisuel, et une invocation puissante du classicisme le plus ascétique : celui d’un Nightfall de Jacques Tourneur, ou de 7 Hommes à abattre de Bud Boetticher. Un lien qui en soit n’est pas plus sot qu’un autre, tant le classicisme dégradé vu à la télévision et son expression la plus audacieuse sont parfois bien proches, tout étant question d’antériorité. Jackie Brown donne ainsi à voir les glissements souples au sein d’une situation, le frémissement d’un désir naissant ou l’éveil doux d’un amour, serti dans des péripéties dignes de Rick Hunter. Et le film, c’est là sans doute le génie du copiste Tarantino, s’étoffe et éclôt à la beauté de l’aura mythique de ses comédiens, leur faisant pleine confiance pour insuffler à leurs personnages falots une humanité durement gagnée auprès du public au gré de leur carrière. C’est une des modulations de la petite musique : nous rappeler que le plus grand trésor du cinéma américain, ce sont eux, ces acteurs balayés comme Robert Forster, ces actrices-amulettes comme Pam Grier.

C’est avec Jackie Brown que les films de Quentin commenceront à être entourés de notices explicatives, de filmographies, d’éléments textuels supposés nécessaires à leur pleine compréhension, et que la cinéphilie du monsieur devient argument publicitaire à part entière. Le comble sera atteint avec Kill Bill, ce palimpseste, ou ce dictionnaire des citations, selon l’humeur. Pourquoi s‘ennuyer à voir les films de Pam Grier, puisque monsieur Quentin nous en offre un digest ? Ce très mauvais raisonnement fait l’impasse sur ce qui fonde le travail à la fois paresseux et unique de Tarantino, qui est de s’adresser aux amateurs. Les vrais ou ceux de circonstance, peu importe : le substrat cinéphilique où s’irriguent ces films, s’il n’est pas connu, ne demande qu’à l’être, pose cette connaissance en exigence auprès de son public. Avec Jackie Brown en effet, Quentin s’enfonce un peu plus profondément dans les tréfonds de la cinéphilie, en convoquant la mémoire de gloires oubliées, côtoyant au plus près un hermétisme quasi-borgésien pour la majorité de ses spectateurs, et s’approche très près de ce qui sera un jour espérons-le le grand œuvre de M. Tarantino, quand il en aura fini des gamineries à la  Kill Bill. C’est ce qui fait la beauté profonde de ce film : les citations et références, les « notes de bas de page » ne se donnent pas dans l’évidence de la pure reprise, forcément dégradée (Matrix), ou dans les brumes compulsives du maniérisme. Car Tarantino ne reprend pas les apparences, les formes, en elles-mêmes, elles ne l’intéressent visiblement pas, et pour cause, la Blaxploitation n’étant elle-même qu’un genre dépotoir. C’est dans une attitude modeste, primitiviste, qu’il travaille à faire surgir à nouveau des émotions un peu passées de mode, comme l’admiration, la colère, le respect ou la compassion, au détour de figures humaines évocatrices, de liens de montage, de finesses de raccords oubliées, de réminiscences exaltantes. Quelqu’un qui fait aimer ce qu’il aime, et transmet l’envie un peu enfantine de savoir, aussi, ne peut pas être foncièrement mauvais, non ?