Lorsque Riccardo, en voiture, rejoint
Vittoria, on a un retour momentané de la nature dans le cadre.
Le trottoir est moins présent, le remblai d’herbes folles occupe
la totalité du fond de champ. Lorsque le couple traverse le
bois, les arbres emplissent le cadre. Nous avons alors davantage
une impression de « bois » qu’avec ces trois arbres esseulés
à côté d'un parking, comme on l’a vu juste avant. Mais ce retour
de la nature dans le cadre n’est que momentané. Lorsque Vittoria
et Riccardo arrivent au pied de l’immeuble de celle-ci, elle
n’occupe plus que les bords de cadre (une amorce de tronc d’arbre
à gauche, une plante à droite). Sous l’immeuble, la nature a
entièrement disparu. Nous n’avons plus que des lignes verticales
ou horizontales, et des carreaux. L’objet, le château d’eau-champignon
du parking, dont la forme se retrouve dans la lampe-champignon
du salon de Vittoria, a gagné. Les feuillages bruissant dans
le vent nocturne que regarde Vittoria n’ont presque plus de
place dans l'image. De même, lors de la minute de silence à
la bourse, on retrouve cette idée qu’il y aurait bien un monde
des objets, un monde indépendant du monde naturel. Les hommes
font le silence, mais les téléphones continuent leur ballet
de sonneries. On peut aussi voir, dans ce moment là, ce qui
se reproduira à plus grande échelle, à la fin du film, lors
de l’éclipse : la nature se calme, se tait et, l’espace de quelques
instants, laisse la place au monde inanimé qui l’entoure.
A propos de cette séquence à la bourse, il semble intéressant
de noter ici des effets de symétrie qui serait au film lui-même
ce que l’ordonnancement, la maîtrise, la main de l’homme sont
à un milieu naturel. Lors de la minute de silence à la bourse,
dans le champ contre champ du premier dialogue de Piero avec
Vittoria, se produit un effet de symétrisation par rapport à
un objet : une colonne de pierre. A la masse blanche des cheveux
de Vittoria répond la masse noire du corps courbé de Piero.
A l’inclinaison vers la droite de la tête de Vittoria répond
la même vers la gauche de Piero. Cette idée d’ordre se poursuit
dans le plan suivant où Piero et Vittoria se redressent de derrière
cette colonne avec un même élan. La colonne imposant sa masse
au milieu du cadre, et le découpant en trois tiers égaux.
Lors de la scène de séparation de Vittoria
et Riccardo, ce même processus de symétrisation se construit
avec les deux plans de Vittoria regardant Riccardo, assis
devant elle, et de son contre-champ, où les protagonistes
se tiennent face à face. Ces plans sont symétriquement opposés
et s’articulent, comme dans la scène de la bourse, autour
d’un objet-pivot. Ici, c'est un abat-jour. On a un plan sur
le personnage de Riccardo, peu dense, avec une échappée sombre
sur la partie gauche du cadre, contenant l’amorce quasi blanche
de la chevelure de Vittoria, de dos, au milieu en bas du cadre,
ainsi que l’amorce de l’abat-jour en haut à droite du cadre.
L'abat-jour est l’unique élément que l’on retrouve dans son
plan symétrique sur Vittoria. Ce second plan, que l’on pourrait
qualifier de « plan-miroir », est plus sombre avec une échappée
claire sur la droite du cadre, avec l’amorce quasi noire de
la chevelure de Riccardo, de dos, au milieu en bas du cadre,
ainsi que l’amorce de l’abat-jour en haut à gauche du cadre.
En termes de couleurs, on a un peu l'impression d'être en
présence d'un positif et de son négatif photographique. Au
niveau de leurs descriptions, ces deux plans ont la ressemblance
d'un reflet. A la fois exact et inversé. Il est d'ailleurs
bel et bien question de reflet dans le plan suivant où Vittoria
refuse de voir le sien dans le miroir. Pour reprendre cette
idée de nature asservie à l’homme, ne pourrait-on pas dire
que, à l'image de cette série de plans, nombre de plans du
film sont ordonnancés comme des jardins à la française ?
Sur ce même principe de symétrisation, les deux séquences
du flirt de Piero et Vittoria, dans la demeure familiale de
celui-ci puis à son bureau, se répondent par rapport à un
point central qui serait la séquence où ces deux mêmes personnages
se retrouvent allongés dans l’herbe, à l’ombre d’un arbre.
La première scène est sombre, la seconde est claire. Les personnages
font d'abord l’amour sur un lit, puis sur un canapé. Ils s’embrassent
à travers une vitre en fer, puis à travers une baie vitrée.
Dans la première demeure, les plan-bustes de Vittoria répondent
aux bustes des statues antiques, la robe déchirée ressemble
à la toge romaine de statues. Ou encore, à la première femme
inconnue encadrée dans une fenêtre répond le plan similaire
de Vittoria dans cette même position.