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L'Eclipse (c) D.R.
Ceci nous amène à un nouveau thème du film, celui de la femme dans le cadre, de la « femme portraitisée ». Lorsque Vittoria rentre chez elle et allume son appartement, ce même cadrage, différentes fenêtres d'appartements voisins s'allument. Différents carrés lumineux naissent. Comme les sonneries de téléphones, lors de la minute de silence à la bourse, ces carrés ont une sorte de vie propre : ils s’allument et se multiplient. De plus, on peut constater que ce sont, à chaque fois, des femmes qui évoluent dans ces carrés, qu’elle soit vivante (Vittoria) ou simple image (la mise en abîme du surcadrage qui dévoile, comme une sorte d’icône, le poster d’une femme regardant elle-même à la fenêtre). Ceci se renouvelle quelques minutes plus tard, lorsque la voisine, filmée dans le cadre de sa fenêtre, regarde Vittoria et son amie, filmées aussi dans le cadre d’une fenêtre, ou encore lorsque nous est donné à voir sur un mur ce cadre de photo-poster d’une femme africaine. L’idée qui semble pouvoir se dessiner ici est que la femme serait réduite à l’état d’image, de figurine. Elle passerait dans le monde des choses. Notons que dans l'appartement de Piero comme dans celui de Victoria il y a cette mise en abîme d'une femme regardant le tableau d'une femme.

Dans l’appartement de Piero, Vittoria est un personnage « en visite ». Elle paraît à la fois lointaine et très proche de la situation. C’est cette même idée que l’on retrouve lorsque, en cherchant le petit chien de sa voisine, Vittoria tombe par hasard sur ces poteaux qui se balancent légèrement dans la nuit. On est à l’un des moments les plus marquants du film. Pourquoi ? N’y aurait-il pas ici un changement de régime ? Tout d’abord, au niveau scénarique, il y a brisure puisque cette « rencontre » avec les poteaux n’apporte rien à la recherche du petit chien. Mais aussi parce que la caméra regarde avec intensité quelque chose d’absolument anodin et qui, par le fait même qu’il soit regardé avec insistance, devient étrange et inconnu. L’intensité du regard entraîne la redécouverte du monde. Ces poteaux dans la nuit sont bien plus intriguants et lointains que toutes les photos de ce pays lointain qu’est le Kenya. Peut être que les photos de l’album de la voisine ne s’intéressent pas réellement à ce pays d’Afrique, et n’en retirent que ce qu’on attend d’elles : des clichés. Au sens photographique comme au sens commun. Alors que les yeux de Vittoria – ou la caméra d’Antonioni- nous montre avec acuité des poteaux qui se balancent dans la nuit, avec ce que cela comporte d’incongru et, surtout, de prégnant. Comme le montre Gilles Deleuze, dans « Au delà de l’image-mouvement » de L’image-Temps, on passe d’une situation sensori-motrice (on a perdu le petit chien dans le quartier, donc on cherche le petit chien dans ce quartier) à une situation purement optique ou sonore (cette vision des poteaux). On retrouve cette idée quelques instants plus tard, lorsque Vittoria regarde l’aile de l’avion qui décolle. Les lignes droites et les formes trapézoïdales qui composent le plan nous donnent à voir une image qui tend vers le dessin abstrait. Ce que Gilles Deleuze appelle un espace quelconque, « déconnecté », « vidé ». Cependant, ce moment a moins de force que le précédent car, placé en début de séquence, il n’instaure pas un changement de régime puisqu’il est donné d’entrée.