Le mouvement de caméra, un travelling
accompagnant la marche de Martha vers le téléphone, reprend
l’exact même mouvement qui a suivi le premier assaut d’Henry
vers Martha (ou celui d’un Henry adolescent vers sa préceptrice
lorsqu’il lui avoue qu’il compte se marier), il y a vingt
cinq ans de cela. Ici, Henry reste assis sur le bord du fauteuil,
laissant ainsi partir Martha vers le téléphone. Il ne coupe
plus la ligne imaginaire tendue entre les deux bouquets de
roses, placés dans une même disposition scénographique que
lors de leur première rencontre, comme s’il laissait repartir
Martha, la femme qui, tout au long de sa vie, s’est tenue
à ses côtés. Lors de la petite scène de jalousie, où Henry
croit que Martha recevait un coup de téléphone de son amant,
le bouquet, en fond de plan, reste vaguement rose, mais, au
sortir de la pièce, lorsque Henry comprend que sa femme est
malade, et va bientôt le quitter définitivement, l’amour renaît.
Ainsi, un bouquet de roses rouges occupe le second-plan, lors
de la dernière valse que celui-ci danse avec Martha.
Lorsque Henry a soixante ans, le décor du hall d’entrée des
Van Cleeve est maintenant des plus dépouillés, telle la vie
sentimentale de celui-ci, et les fleurs des bouquets y sont
bleues. Dans un effet de boucle, on peut noter que la couleur
bleue est aussi celles des éléments occupant les premiers
plans du récit de la vie d’Henry, lorsqu’il est bébé. En outre,
le bleu est aussi la couleur de la robe de Martha lorsqu’elle
apparaît pour la première fois à l’écran, lors de la réception
donnée par les Van Cleeve. Si l’on remarque cette robe de
couleur bleue, le rouge à lèvres vif de Martha, ainsi que
le cadrage frontal en plan rapproché buste sur celle-ci, on
peut associer ce plan, que le recadrage du travelling-avant
sur le visage de la jeune fille rend percutant, au plan similaire
de la dernière apparition à l’écran de la préceptrice française
du jeune Henry, dans un cadrage similaire, avec cette même
robe et arborant ce même rouge à lèvres. Ce plan du visage
de Martha, en plus d’être un plan de présentation de la jeune
fille, à un niveau scénarique, ne serait-il pas aussi une
image-souvenir deleuzienne ? En effet, même s’il n’en est
pas fait état dans la diégèse, on comprend, par la transmission
du hoquet de la préceptrice française au jeune Henry de quinze
ans, qu’elle est la première femme a l’avoir embrassé. Cette
image de Martha rappellerait donc le premier baiser (hors-champ)
d’Henry Van Cleeve. Un baiser que la couleur rouge des vases,
disposés de part et d’autre de la jeune femme lorsqu’elle
sort expulser son hoquet, semblent annoncer. Le secret est
non seulement derrière la porte, mais aussi dans les vases.
On note d’ailleurs, que ces vases rouges, rappelant la robe
rouge de la préceptrice, se sont transformés en roses rouges,
au seuil de cette même porte, lorsqu’Henry se croit amoureux,
à l’âge de vingt six ans. L’objet (le vase), comme l’objet
du désir (la femme), a changé, mais pas la couleur rouge.
Remarquons également que le plan de présentation de la danseuse
Peggy Nash, que tente de séduire Henry, reprend les caractéristiques
de celui de la préceptrice française. Encore et toujours revient
cette même première femme.