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Le Cirque (c) D.R.

L’image même de cette idée est illustrée dans le labyrinthe de glaces propre à la fête foraine. La position des miroirs représente parfaitement celle des plans : un frontal et deux latéraux obliques. C’est l’illustration visuelle du fait que si les miroirs se touchent, l’effet produit est que le spectateur perçoit toutes les images réfléchies, mais ne comprend que celle qu’il a sous les yeux, dans l’axe. Pour que notre regard ne se laisse pas tromper, il faut qu’il y ait séparation des miroirs. Comme on le voit à la porte d’entrée du labyrinthe où les miroirs ne se touchent plus, nous appréhendons alors l’espace sans problème. On peut même dire que c’est parce que les miroirs ne sont plus collatéraux, comme dans le labyrinthe, que l’espace devient lisible. Ce phénomène de non-communication des plans se poursuit lorsque le pickpocket épie Charlot, depuis les machines d’Edison, puis revient dans le plan de celui-ci (le voleur sort à gauche et rentre au milieu du cadre). De plus, la lumière des deux lieux n’est pas raccordée.

L’idée qui semble se dessiner ici est que chacun vit dans son cercle et ne peut aller dans le cercle de son voisin. Lorsque Charlot mange le gâteau du bébé, le comique vient d’ailleurs de la transgression de cette règle -et donc de sa mise en évidence. En croquant dans le beignet du petit enfant, Charlot passe la ligne imaginaire qui divise le cadre en deux moitiés, et sort de son cercle pour pénétrer, quelques courts instants, dans celui du bébé. Deux exemples semblent illustrer cette idée de cercles voisins. Le premier consiste dans la scène où le bourgeois détroussé entre dans le plan de Charlot : il entre « à reculons », il n’y a pas à proprement parler rencontre. Seraient-ils dans le même cadre, chacun reste dans son cercle ! Comme précédemment entre Charlot et le bébé, on peut imaginer une ligne médiane partageant le plan en deux moitiés. Le second exemple se situe lors du travelling-arrière filmant le pickpocket et Charlot, en train de courir « de concert ». Les trajectoires des deux individus forment de véritables cercles tangents qui se frôlent, mais ne se touchent jamais. Chacun sa course, chacun son policier. Là encore, l’effet comique de Charlot qui salue, avec son chapeau, son véritable « vis à vis » souligne cette idée de « chacun son cercle », en tentant quelque transgression par l’humour.

  Le Cirque (c) D.R.

Nous reviendrons bien évidemment sur la scène où Charlot se transforme en automate en la comparant aux attitudes provoquant le rire chez Henri Bergson. Cependant, on peut déjà noter ici quelques éléments ayant trait à la figure du cercle. L’hypothèse serait ici que le policier ne remarque pas que Charlot est un automate car, tout simplement, ces deux individus ne sont pas dans le même cercle. Le policier est dans le cercle des vivants et n’arrive à regarder que l’autre policier, aussi en vie que lui, qui sort du baraquement. Charlot, lui, est passé dans le monde des choses. Les policiers ne peuvent donc pas le voir. Ceci est corroboré par le moment où le policier est intrigué par l’automate-Charlot qui tape avec son gourdin sur l’automate-pickpocket. Ce plan du « policier regardant » est, en effet, aussi décontextualisé que les plans collatéraux que l’on a étudiés précédemment : rien, dans le cadre, ne permet d’identifier où se trouve le policier (on perd les lampadaires), et, une fois encore, dans le raccord-regard, on « casse l’axe ». Ce plan fonctionne comme une sorte d’Insert, de plan isolé. Par ailleurs, on ne retrouve ce même décalage que lorsque le directeur regarde Merna sur son cheval, pendant le numéro du cerceau, au début du film. Ce même raccord-regard légèrement faussé, quelque peu décalé, pourrait illustrer le fait que le personnage regarde, mais ne voit pas, ou plutôt que le regard lui-même est dévié. En effet, par ce premier regard du directeur sur sa fille, ce qu’il regarde, plus que sa fille, c’est l’objet de son désir. De même, l’acuité avec laquelle le policier scrute Charlot-automate traduit plus qu’un regard, la présence d’un doute dans celui-ci. Par contre, il est étonnant de constater que le pickpocket comprend immédiatement où est Charlot… contrairement au policier. Ce choix permet à Chaplin de ne pas s’enfermer dans une figure qu’il maîtrise parfaitement.