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Chez Fellini, le spectacle devient
délicieusement vulgaire et païen, digne du Satyricon.
Evoquons la séquence érotico-satanique où Casanova fait l’amour
à la marquise d’Urfé avec un chandelier en forme de soleil
sur la tête. N’oublions pas les orgies romaines dans lesquelles
l’aventurier fera un duel sexuel avec un cocher. Mais le summum
de l’inconstance casanovienne éclate dans le petit opéra donjuanesque.
Le mépris de la femme y est clairement explicité :
« Tout mâle est tentateur, expert en fourberie. Il n’est
femelle qui ne soit à sa merci ! Il sait la mener où
il veut aller, d’où l’âpre combat dont le vainqueur sera… ».
La ponctuation est un faux sous-entendu, Casanova est un consommateur
des formes féminines, c’est le triomphateur du furioso final,
il devient l’icône du dominateur qui se disperse sans fin.
Il aime tout le monde sans aimer personne, c’est dans le silence
de la solitude qu’il se recueille.
Comme Dom Juan, il ne « s’aime que pour se saccager avec
délices ; il se traque lui-même à travers ses victimes. »
(16) Casanova cherche une ivresse de la conquête, tandis
que Dom Juan cultive son désir de domination insatiable dans
chacune de ses victoires : « je me sens un cœur
à aimer toute la terre ; et comme Alexandre, je souhaiterais
qu’il y eût d’autres mondes, pour y pouvoir étendre mes conquêtes
amoureuses. » (17) Le protagoniste de Molière
assume l’amour comme une finalité existentielle tandis que
l’aventurier fellinien subit l’amour tout en étant fasciné
par la plastique féminine.
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Il s’enflamme devant la jeune dentellière
Anna-Maria : « Qu’y puis-je ? Je suis amoureux
de toi. Ta beauté immatérielle attire l’artiste qui est
en moi. Je voudrais te modeler comme la statue pour laquelle
je t’avais prise. Etre ton Pygmalion, insuffler la vie à
ma créature, lui donner la vie en lui donnant mon sang afin
que mon feu brûle en toi. » La femme devient objet
artistique et projection du « moi » dans lesquels
Casanova se perd et flatte sa vanité, tandis que pour un
Valmont ou un Dom Juan l’objectif reste la maîtrise de soi
avec un orgueil démesuré brandit comme un sceptre foudroyant.
Dans Valmont de Milos Forman, le protagoniste aide
la candide Cécile à se vêtir. Derrière une volupté à peine
dissimulée, la caméra dévoile en fait la description d’un
émouvant déshabillage comme un rite de séduction auquel
nous convie Casanova à maintes reprises dans les deux films
et surtout dans son autobiographie. Prenons à titre d’exemple
l’épisode de la comtesse Bonafede : « Sur ce balcon,
assis vis à vis d’elle, après un quart d’heure de discours
amoureux, elle permit à mes yeux de jouir de tous ses charmes
que la lumière de la nuit me rendait encore plus intéressants,
et qu’elle me laissa couvrir de baisers. » (18)
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Il
faut consommer la chair mais ne pas en être esclave. Casanova
ne semble pas très bien armé pour ce combat : « exercer
sur soi une surveillance jalouse, savoir jusqu’ou on peut
aller trop loin en chaque circonstance, soumettre ses désirs
au gouvernement de sa volonté, ne se diriger que par calcul,
tout cela, qui compose le génie d’un Valmont ou d’un Tartuffe,
excède infiniment ses capacités. Mais Tartuffe et Valmont
[…] entendent triompher par une exacte stratégie, en laissant
le moins possible à l’occasion. » (19) Casanova
est un philosophe du superfétatoire, de la conquête sans
lendemain, il a besoin de séduire les femmes tout en les
repoussant. Il faut au Vénitien une aventure indéfiniment
reconduite, il cherche la tension permanente : cette
alternative de richesse et de perdition.