L’INDISSOLUBLE
CONTRADICTION : REVE ET REALITE
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En tant que système de représentation
fantasque, le cinéma buñuelien refuse de faire une séparation
entre la vie et l’art. Cette dichotomie entre rêve et réalité
reconstitue le vrai fondement de la nature humaine ;
le surréalisme est au service de celle-ci : « il
ne montre pas l’homme tel qu’il a envie de se voir (imagination
et idéalisation) mais tel qu’il n’a pas eu le temps de se
découvrir. » (7) Autant dans Le Chien andalou
la critique sociale est minime, moins flagrante, autant dans
L’Age d’or il existe un parti pris, une diatribe contre
les idéaux bourgeois que sont la famille, la patrie et
surtout la religion.
L’anticléricalisme réel du réalisateur se confond avec l’insolite
cinématographique. Evoquons, d’une part, les prélats sur le
bord de mer qui, d’une séquence à l’autre, ne sont plus que
des cadavres et, d’autre part, l’Evêque qui se défenestre
sans raison apparente à la fin du film. Buñuel se plait à
dérouter le spectateur et décourage toute interprétation.
L’incertitude régnante entre le rationnel et l’irrationnel
rapproche ce type de surréalisme du fantastique littéraire
tel qu’il a été défini par Todorov. (8) La frustration
engendrée par le sens qui se dérobe devient paradoxalement
une des clefs de la signification des codes buñueliens :
« je ne cherche pas à mettre dans mes films des choses
que l’on puisse interpréter différemment dans un sens ou dans
l’autre. Ce serait tendre un piège. Ce que je sais, c’est
que tout homme, […] a des élans contradictoires. » (9)
Le réalisateur est fasciné par l’illogisme, feignant la candeur
pour pouvoir se défendre si besoin est, ni crédule ni incrédule,
il mélange tous les affres qui le hantent. Dans Un chien
andalou, un couple s’affronte avec une raquette de tennis,
tandis que des prêtres sont tirés par un piano sur lequel
repose un âne ensanglanté. Sous la forme d’un montage syncopé
et accéléré avec le rythme du paso doble, ajouté seulement
en 1960, l’amour, la religion et la mort ne font plus qu’un.
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Pressentant la guerre civile espagnole :
« l’heure est à l’engagement, à la ré-humanisation,
à la transcendance : la finalité de l’art. »
(10) Toutes ces images éclectiques forment la communauté
de l’imagination qui repose sur des actes quotidiens qui
maintiennent l’unité du rêve et de la réalité. Cette conjonction
est bien illustrée dans la séquence du miroir dans L’Age
d’or. La protagoniste Lya Lys, en entrant dans sa chambre,
trouve une vache sur le lit alors que le son de clochette
devient prédominant. Le plan suivant ce type de son perdure
tandis que l’amant de Lya Lys est retenu par deux policiers :
des aboiements de chiens se superposent avec le son précédent.
Il s’agit d’une transition sonore illustrant la thématique
amoureuse grâce au montage en parallèle : les actions
restent concomitantes. En effet, le plan d’après la protagoniste
se penche sur son miroir-ciel et le double son clochette-aboiements
s’enrichit par le bruit du vent. Cette sémiologie sonore
accompagne « pendant toute la séquence, les deux amants
qui se trouvent à des kilomètres l’un de l’autre. Par les
deux sons – clochette, aboiements – le spectateur est tout
de suite au courant de l’union des deux personnages que
la distance ne réussit pas à séparer et le vent clame le
triomphe de cette union. » (11) Il s’agit d’une
véritable prouesse technique au service de l’illusion poétique,
d’autant plus que cette production est l’un des premiers
films parlant et sonore. La magie de Buñuel dévoile non
seulement le rêve, sans rime et sans raison, enchâssé dans
la réalité la plus quotidienne, mais elle affirme encore
son goût prononcé pour la moquerie, la satire et le sarcasme.