Annuaire boutique
Librairie Lis-Voir
PriceMinister
Amazon
Fnac

     

 

 

 

 

 
PARODIE ET PROVOCATION : A LA RECHERCHE D’UN CERTAIN NATUREL

  L'Age d'or (c) D.R.

Fondé sur le renversement des sens et des valeurs, le cinéma de Buñuel explore le territoire du négatif comme avait pu le faire Sade ; mais le cinéaste le découvre par le biais de la logique de l’association libre. Cet univers du hasard dans ces deux films reste tellement net qu’il en devient presque réaliste ; l’absence de signification et l’image déstabilisante renvoient à une forme de pureté, de pensée originelle comme un documentaire sur l’inconscient. Il est vrai que la première séquence de L’Age d’or fait penser au documentaire classique avec le combat des deux scorpions qui paraît bien incongru. En réalité, il préfigure métaphoriquement un certain regard cinglant de la société au sens large dans laquelle curés, amants et politiciens recevront chacun une décharge de venin.

Ce film est l’anti-sacralisation : « c’est enfin peut être pour cette raison profonde que L’Age d’or, produit par le vicomte de Noailles, déjà mécène du Sang d’un poète de Jean Cocteau, demeure l’un des grands scandales de l’histoire du cinéma. Violemment attaqué par l’extrême droite, le film est finalement interdit par le préfet de police Chiappe, preuve tangible de sa force subversive, demeurée intacte avec les années. » (12) La parodie et la provocation sur « le fil du rasoir » n’empêche pas la joute poétique, la lune coupée d’un nuage est une allégorie de l’œil tranché. On retrouve les caractéristiques de l’expressionnisme : d’une part, l’austérité subjective et introspective, et d’autre part, la sensibilité froide avec la lune lumineuse qui contraste avec le fond obscur. Cette opposition rappelle la dramatisation de la lumière dans le Faust de Murnau. Cet expressionnisme espagnol manifeste un graphisme baroque qui :  « est la source de la modernité, parce qu’il exprime, au-delà d’une esthétique de l’excès et du paroxysme, l’incurable mélancolie d’une culture qui n’a pas fait son deuil de l’ordre divin. » (13)

Le Charme discret de la bourgeoisie (c) D.R.

Mais contrairement à Cocteau obsédé par l’image du poète dont le cinéma s’efforce d’être poésie merveilleuse et romantique, Buñuel ne fait pas dans le sentiment. Dans L’Age d’or, les hommes politiques dits patriotiques se retrouvent collés au plafond, injure suprême au nationalisme, et les mondains sont plus passionnés par les histoires de sexe que par les relations publiques : « le surréalisme est une baguette magique qui transforme en merveille tout ce qu’elle touche. » (14) Cette véritable « Comédie humaine » est un inventaire réaliste de la société insouciante des années 30 qui prépare, malgré elle, la catastrophe de la seconde guerre mondiale, dont l’un des premiers signes fut la guerre civile espagnole. Le surréalisme devient prétexte à la réalité, comme le fit Picasso avec Guernica. De surcroît, Buñuel se sépara de Dali et de Breton pour s’orienter vers un cinéma réaliste, voire naturaliste en conservant malgré tout dans sa production des images irréelles au service de la réalité.

Dans Le charme discret de la bourgeoisie, des convives se retrouvent autour d’une table, tous assis sur des toilettes. Parodie d’une certaine classe sociale qui ne fait que consommer et évacuer : il s’agit d’une provocation en associant la nourriture avec l’excrément. Buñuel s’affiche comme un observateur du grotesque, voire du scatologique. Derrière la dérision, la cruauté et la farce picaresque se cache finalement une vision rationnelle et naturelle des choses. Au-delà de certaines formes plastiques et sophistiquée auxquelles le réalisateur nous a habitués, l’être humain est dévoilé sous ses aspects passionnels, pulsionnels, voire animaliers, détaché de tous repères judéo-chrétiens  : « Dépasser le surréalisme, le renverser dirait Deleuze, au sens de mettre au jour ses motivations, c’est redonner au naturalisme buñuelien sa part nécessaire afin de regarder autrement le supposé surréalisme à l’œuvre qui est parfois un simple fragment de naturalisme déconnecté qui remonte à la surface, indicible à la dérive d’un milieu dont on a perdu la trace. »  (15)