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Pâleur, ombre, rigueur, retenue forment
donc l'essence esthétique du film : tout en est empreint,
le village, les personnages aussi, la forêt, surtout. Une
certaine beauté s'en dégage, sombre, discrète, sobre.
Pour autant, Sleepy Hollow ne saurait se réduire à
une compilation d'images qu'une commune beauté relierait :
le voile de l'esthétique burtonienne se déploie toujours sur
des histoires à sa mesure. Burton choisit souvent la forme
du conte pour raconter ses histoires : tout y est merveilleux,
fantastique, un brin enfantin. Cette forme ne doit pourtant
pas tromper : comme tout conte, Sleepy Hollow regorge
de symboles, et son apparente naïveté renvoie en fait à une
construction bien plus complexe qu'il n'y paraît (1).
Sleepy Hollow repose moins sur le Cavalier, comme le
sous-titre peut le laisser supposer, que sur Ichabod Crane
: à première vue, l'histoire se résume à une vengeance ourdie
depuis de longues années et dont le Cavalier hessois serait
le bras armé. A ce titre, il est central, puisque c'est grâce
à lui que la vengeance peut arriver. Mais il faut surtout,
je crois, s'attarder sur le cheminement de Crane : au début,
il nous apparaît comme un envoyé des Lumières, plus positiviste
que rationaliste, sorte de détective iconoclaste désireux
de révolutionner l'enquête policière comme d'autres ont révolutionné
l'enquête philosophique. Il ne plaît guère, c'est certain,
il est “ sur la sellette ” et on l'envoie enquêter
sur une série de crimes mystérieux à propos desquels il ne
sait rien, ou presque - en tout cas, il ne sait pas l'essentiel.
Il doit résoudre l'énigme et ramener le meurtrier. D'une certaine
façon, il part à Sleepy Hollow, habité par l'esprit de l'Aufklärung,
pour y apporter ce qu'il croit bon, un empirisme mâtiné
d'expérimentalisme, comme on apporte à des sauvages la parole
de Dieu. Apparemment pétri de certitudes, Ichabod Crane s’apprête
à donner son discours de la méthode.
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Pourtant, on sent déjà poindre en
lui comme un tourment, on le voit jeter son regard au loin,
vers un hypothétique jardin secret dont il serait le seul
à posséder la clef. On devine derrière la cuirasse et le
masque la tristesse et la gravité d'Ichabod Crane. Sans
doute n'est-il pas ce qu'il laisse apparaître - “ les
apparences sont trompeuses ” - et nous pouvons déjà
commencer à prendre la mesure du personnage... et aussi,
bientôt, toute sa démesure.
Très vite, on le met “ au parfum ” : les meurtres,
le Cavalier, la légende... A ces paroles, Crane tremble :
la scène est importante, elle laisse apparaître l'ambivalence
du personnage, celle d’un homme des Lumières qui prend peur
à la simple évocation d'un revenant. C’est que notre homme,
trop logique pour être honnête, cache quelque chose. Ce
quelque chose, il continuera, tant bien que mal, à le camoufler
: d'indices matériels en déductions, il tentera de trouver
un coupable, un mobile... (il y parviendra, en un
sens).