Annuaire boutique
Librairie Lis-Voir
PriceMinister
Amazon
Fnac

     

 

 

 

 

 
Sleepy Hollow (c) D.R.

L'enquête sera l'occasion pour Ichabod d'utiliser son “ outillage ”, de son propre aveu fabriqué par lui. Outils en vérité bien étranges, comme déformés et déments (2) : des écarteurs de chair munis de loupes, des lunettes-yeux-de-hibou... Les formes sont torturées, un peu grotesques. On dirait des caricatures d'outils, comme si un fou -  ou un enfant - s'était mis en tête de forger des instruments à vocation scientifique. Ces outils sont le fruit de la passion “ méthodiste ” de Crane, comme s'il n'y avait pas assez de méthode en ce monde, comme s'il fallait en rajouter un peu plus. Ils auront pourtant leur efficacité puisqu'ils permettront d'accéder à certaines vérités.

Mais, très vite, l'évidence s'imposera : le Cavalier, ce fantôme, existe : Crane l'a vu, et “ voire, c'est croire ”. Il y a là un point important : en bon homme des Lumières, Crane aurait sans doute sombré dans la folie. Or, il ne conteste pas ce qu'il a vu, il y croit parce qu'il l'a vu - bien sûr, l'aveu est difficile, aussi notre enquêteur passe-t-il par un moment de crise. Mais Ichabod Crane, et c'est là son secret, a un passé bien peu avouable pour un homme de raison : sa mère a été condamnée parce qu'elle pratiquait la magie - blanche ou noire, on ne le sait - et elle en est morte, surveillée et punie par un mari religieux et inquisiteur. Cette mère qu'Ichabod ne voit qu'en secret, sans le père, figure quasi bergmanienne, et dont il partage l'intimité (elle lui impose le silence, l'index sur la bouche, comme si personne ne devait savoir, et surtout pas le père, comme si ces instants privilégiés n'appartenaient qu'à eux, et surtout pas au père), cette mère, si belle, par moments si proche d'Ichabod que rien ne semble les séparer, cette mère qui danse, légère, si légère que parfois elle semble s'envoler... La scène prend place au sein d'une séquence onirique, de sorte qu'on ne peut dire s'il s'agit d'un souvenir objectif (pour autant qu'un souvenir puisse l'être) ou d'un fantasme. Burton ne dira rien sur cette image troublante, Ichabod demeurera muet. Et peut-être, au fond, n'y a-t-il rien à dire, c'est-à-dire rien à expliquer et tout à voir, c'est-à-dire à croire...

  Sleepy Hollow (c) D.R.

Par la suite, la vision du Cavalier acéphale va agir comme un révélateur sur Ichabod-Thomas et va venir redoubler et confirmer l'image qui a sans doute longtemps été pour lui comme un accroc dans le tissu rationnel de son esprit, un déchet fantasmatique de son enfance : cette mère, qu'il croyait condamnée à mort et à tort, pourquoi ne serait-elle pas une sorcière puisque la nuit, les forêts sont hantées par des cavaliers à la recherche de leur tête ? Du coup, c'est Ichabod qui perd la sienne... Vite, il la retrouvera et poursuivra son enquête. Mais d'une façon radicalement nouvelle : les indices obtenus grâce à la méthode pseudo-scientifique de Crane n'aboutissant pas à des résultats véritablement probants (3), il faut récrire le discours de la méthode - en quelque sorte, Crane fait sa tabula rasa : la méthode, autrefois une, devient maintenant duale, la sorcellerie venant redoubler la recherche empirique. En un sens, Crane ne fait que tirer les conséquences de ce qu'il a vu : les indices matériels sont manifestement insuffisants et doivent être complété par des indices de tout autre nature, des indices immatériels, des indices recueillis de l'autre côté du miroir, cet autre côté qu'Ichabod a longtemps nié et confiné dans les limites rassurantes de l'imagination et de l'irrationnel : à présent, il va pénétrer consciemment et volontairement dans le monde de la magie. La visite chez la sorcière, qui a sa tête mais pas d'yeux - quand on croit pour de bon, il n’est plus besoin de voir -, sera certes effrayante - Crane en ressort visiblement bouleversé - mais déterminante pour la poursuite de l'investigation puisqu'elle révèlera l'emplacement d'où jaillit le mal, l'arbre de la mort. Ichabod va éventrer cet arbre en son creux, ce creux qui a somnolé si longtemps avant d'être réveillé, gourmand de têtes (4). De ce monstrueux utérus va surgir le funeste Cavalier hessois. Juste avant cette apparition spectrale, Ichabod, ayant mis à jour le squelette sans tête du Cavalier, donnait, spontanément, les raisons exactes pour lesquelles le Cavalier était revenu “ à la vie ”. Un peu plus tard, il continuera à dire qu'il ne croit qu'aux “ causes et aux conséquences ” mais il est manifeste que Crane est capable de formuler des explications magiques en complète contradiction avec ce qu'il avoue consciemment croire et l'attitude qu'il essaie d'imposer : il y a en Ichabod Crane comme une part cachée, une part maudite encline à croire à la magie et à l'occultisme. En un sens, Sleepy Hollow est une sorte de recherche, de quête, de parcours initiatique. Ichabod Crane quitte la ville, l'urbanisme, une certaine rationalité aussi pour entrer dans la campagne américaine, peuplée de croyances et de mystères : en lui disant qu'ici, à Sleepy Hollow, il est loin de New York, on lui signifie qu'il a pénétré dans un domaine où les lois de la ville sont caduques (5) où l'ordre des choses est en somme bien différent de celui qu'il a pu connaître. Et c'est dans les bois du Ponant, dans cette Natur à l'essence en principe opposée à celle de la ville et de la civilisation, que Crane pourra ôter son masque.