Les hommes et les femmes monstrueux qui
peuplent les épisodes de cette série ne sont que le reflet des
névroses de Mulder, et particulièrement de ses manques affectifs.
Si l’on observe les éléments qui nous sont donnés concernant
son mode d’existence, on remarque facilement qu’il est un grand
solitaire qui se maintient dans cet état par son originalité
et son incapacité à tisser des liens sociaux, due notamment
à la trop grande absorption qu’opère sur lui ses recherches
du surnaturel et des extraterrestres… Un des points centraux
de la personnalité de Mulder est qu’il s’isole encore plus dans
le domaine qui devrait lui permettre de s’intégrer, le domaine
professionnel. Son paradoxe est qu’il ne recherche pas le contact
dans son travail mais des réponses à ses frustrations, alors
qu’une de ses réponses serait justement le contact humain. Il
y a bien cependant des contacts humains au cours de ses enquêtes
aux côtés de sa partenaire Scully, mais ceux-ci sont biaisés
par le fait que les coupables ou victimes qu’il côtoie sont
gangrenés par le surnaturel, métaphore de leurs névroses et
de celles de Mulder. Ainsi ses rapports sociaux (Scully mis
à part) se limitent aux trois Lone Gunmen, des amis encore plus
décalés que lui, qui passent le plus clair de leur temps à rédiger
un journal d’investigations farfelues sur le paranormal, et
à sa mère qu’il visite rarement.
La mort de son père au cours de la saison 2, ainsi que l’enlèvement
de sa sœur par des extra-terrestres, viennent nourrir ses frustrations
tout en justifiant sa quête de petits hommes verts qui l’isole
du monde social. D’autre part avant la sixième saison il ne
possède pas de lit et dort (rarement) sur son canapé, ce qui
exclut toute vie sexuelle. Il avoue d’ailleurs se consoler avec
des films pornos, ce qui donne lieu à quelques plaisanteries
avec Scully. A ce propos il devient rapidement évident dès les
débuts de la série qu’une idylle entre les deux principaux protagonistes
paraît inévitable. Cependant toute l’astuce de Chris Carter,
le créateur d’X-Files, consiste à maintenir Mulder dans
un état de frustration et de recherche perpétuelle en repoussant
le plus possible cet amour qui pourrait éclipser les substituts
qu’il pourchasse au cours de ses enquêtes. La relation des
deux agents se doit donc de rester amicale ou tout du moins
platonique pour laisser le champ au questionnement et à la recherche
et à leurs incessantes traversées des Etats-Unis en voiture
ou en avion, qui illustrent leurs parcours intérieurs.
A l’image de Mulder les personnages croisés
au cours de ses investigations sont des êtres frustrés et
inaccomplis qui révèlent une face obscure de l’Amérique, celle
de la communication faussée, celle de l’étrange né de l’idéal
américain brisé. Le nombre d’épisodes qui s’attachent aux
particularités monstrueuses et paranormales d’êtres possédant
des carences affectives est tout simplement impressionnant.
La série recèle un nombre incroyable d’amours non partagées
ou manquées, qu’elles soient filiales ou amoureuses. Dans
Trevor, un épisode de la sixième saison, un meurtrier
qui possède la particularité de passer à travers les murs
recherche son fils né pendant qu’il était en prison. Finalement
son amour paternel n’est pas reconnu et il meurt sans avoir
pu réellement exprimer sa part d’humanité, mais il gagne la
compassion de Mulder… C’est cette compassion qui constitue
le cœur d’X-Files : en exagérant les névroses et les
frustrations des Américains et en les mythifiant par le biais
du surnaturel et de la monstruosité, la série les rend paradoxalement
plus humaines et plus aptes à créer un élan de compassion
chez Mulder.