Prenons Sleepy Hollow : ce
n'est pas un film qui fait peur, à proprement parler. L'effroi
provient plutôt d’une surenchère des effets spéciaux et de
visions terrifiantes. Un film baroque et gothique qui joue
sur la forme expressionniste. Et tenter de provoquer un « imaginaire
du dedans ». Par exemple avec toutes ces références au
sommeil, au rêve ou au cauchemar qui sont le propre du cinéma
dit expressionniste. Le village n’existe que pour faire évoluer
notre personnage, c'est le lieu sur lequel il devait et ne
pouvait que tomber. Le parcours obligé pour faire face à ses
traumatismes, résoudre son problème oedipien (peur de la castration)
et son deuil, et lui permettre de rencontrer l'amour sous
les traits d'une "bonne sorcière". Tout le film
peut se voir comme un songé éveillé pour le personnage qui
déambule dans un cauchemar fabriqué pour lui seul.
Avec Les yeux sans visage, nous sommes dans une autre
dimension du fantastique. Je voudrais insister sur la formation
de documentariste de Georges Franju. C'est fondamental parce
que le réalisateur n'a jamais considéré le réel comme donné,
comme évident. Pour lui le réel est toujours interprété, et
mal interprété, dès lors son obsession devient de nous révéler
le réel dans ce qu'il a de plus poétique : dévoiler le caractère
insolite et anormal du normal.
Franju a réalisé beaucoup de courts
métrages documentaires qui utilisent une méthode de construction
en trois mouvements, comme par exemple avec Le sang des
bêtes
Quelles sont ces trois actions ?
- l'objet présenté est associé aux représentations
audiovisuelles qui dominent son interprétation.
- L'objet est progressivement détaché du contexte
audiovisuel auquel il semblait tout naturel de l'associer.
Il entre dans un espace d'indétermination. Il apparaît comme
déplacé, privé d'usage, dé-finalisé. Le spectateur ne sait
plus comment regarder et interpréter ce qui lui est montré
- L'objet est re-contextualisé, de façon différente.
Mais une part d'indétermination subsiste. Aucune fermeture
du discours ne vient réduire la force poétique dégagée dans
la libération de l'objet et du regard qui est porté sur
lui.
On comprend peut-être maintenant comment le geste poétique
de Franju en arrive à provoquer la peur, par déstabilisation
de notre interprétation du réel. Franju ne cherche pas la
peur, il l'atteint dans son cheminement poétique. C'est
cette méthode qu'il a exportée dans la fiction. La différence
étant que c'est le personnage qui devient le centre de ses
fictions et non plus un objet.