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Toute cette logique du déraillement,
du dérapage repose ici sur le rapport fondamental à l’alcool.
C’est que l’alcool, chez Antoine, est l’opérateur de la désinhibition
morale, la porte ouverte au chemin de la liberté et de la
transgression… Et par là même de l’angoisse. C’est ici qu’intervient
l’épisode du criminel évadé de prison, qu’Antoine recueille
dans sa voiture. Ce personnage, sorte de Roberto Succo, renvoie
en miroir au propre désir d’évasion d’Antoine, de rejet de
la loi, il accomplit son fantasme de se livrer au mal et à
la destruction. Il convient de remarquer ici à quel point
la mise en scène de Kahn se montre inspirée dans sa façon
de rendre sensible cet état d’ivresse : ainsi les scènes
d’intérieur voiture reconstituées en studio avec en surimpression
les lumières floues brouillées des autres véhicules, le leitmotiv
lancinant de la route et des bandes blanches(comme dans un
film de Lynch), une accélération du montage traduisant la
fébrilité accrue du personnage…On a la sensation d’une réalité
qui vacille, comme si l’on épousait la perception troublée
par l’alcool du personnage.
A partir de l’événement traumatique de la disparition de sa
femme, la réalité perd ses assises et son fondement pour Antoine.
Elle devient à la fois indéchiffrable et menaçante. Là encore,
avec brio, la mise en scène traduit l’état d’angoisse, au
sens presque premier du terme de sensation de resserrement :
le cadre se resserre, le montage se fait plus nerveux, les
mouvements de caméra plus fébriles. On retrouve là une dynamique
particulière au cinéma de Cédric Kahn : un personnage,
subitement privé d’ancrage et d’attache, se retrouve lancé
dans un engrenage infernal, un mouvement fatal en forme de
chute dans un précipice, bref un processus de mort. A ce sujet,
on remarquera que, au moins depuis l’Ennui, un motif
qu’affectionne Cédric Kahn est celui de la route. Dans L’ennui,
le personnage de Martin, conduisant sa voiture à fond, se
disait lancé dans une course vers la mort. Dans Roberto
Succo, le personnage est bien souvent à bord d’un véhicule
engagé à toute vitesse dans une échappée vaine et solitaire.
Antoine connaît lui aussi cette situation.
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L’angoisse est donc véritablement
un principe moteur du récit : Il s’agit d’une perte
qui suscite une réaction de panique et enclenche un mouvement
de recherche, c’est un vide subi qui engage les personnages
dans une sorte de vertige. La réalité perd ses assises stables
et familières, le sol se dérobe sous les pieds, et le personnage
se voit plongé dans un mouvement sans fin et sans fond,
qui semble être celui là même qui anime le processus créatif
de Cédric Kahn lorsqu’il dit : « Je fais des
films pour savoir pourquoi je les fais ». Définition
type de l’angoisse, dont le propre est d’être sans objet,
mais qui pousse à l’action.