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Le « Stalker » ne cessera,
durant le pèlerinage, de mettre en garde l’écrivain et le
scientifique, des dangers d’une violation de l’intégrité de
la chaire du monde. Fable écologiste, ce récit dénonce les
méfaits de la barbarie humaine. Il ne faut pas que la nature
perde sa beauté : « la nature n’est pas un objet
de volonté. La nature est une fin en soi. » (5) Stalker
est une vision idéaliste du monde qui présente une nature
réelle avec ses fleurs, ses arbres, régie par des règles dans
lesquelles l’homme ne peut intervenir. La nature chez Tarkovsi
représente une œuvre d’art et sa force caractérise « la
manifestation d’un phénomène indéfinissable qui ne peut se
plier ni à la volonté des hommes ni à celles des systèmes. »
(6)
Cette œuvre d'art se transforme en poésie de l'apocalypse.
Le film est parfois ponctué d'une voix off qui récite
des poèmes écrits par Arseni Tarkovski, le père du cinéaste
: « Il y eut alors un violent tremblement de terre. Le
soleil devint sombre tel un cilice et la lune devint rouge
comme le sang. Les étoiles du ciel tombèrent sur la terre
comme un figuier secoué par un vent violent dont les figues
encore vertes, tombent à terre. » Le décor de la zone n'est
qu'un amas d'objets de l'ancien monde : armes à feu noyées
dans l'eau, vieilles usines métallurgiques, carcasses de voitures,
entrepôts désaffectés. Il existe une force réaliste du rendu
immédiat des objets, mais au-delà de cette matérialité magique
se manifeste « une sauvagerie de la captation visuelle
[…] dans les images les plus apprêtées. » (7)
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Par exemple, l’image du tunnel qui
conduit à la chambre fait penser au couloir de la mort,
il est sombre et humide ; en arrière plan une vive
lumière éclaire le tunnel en contre jour, lui donnant ainsi
une valeur dramatique. Cet espace rappelle étrangement le
tunnel meurtrier de Dead zone. Les protagonistes
doivent achever leur parcours initiatique avec le rite du
passage. Le tunnel est une anti-chambre réelle qui conduit
à l’idéal : la chambre des miracles. Ce parcours reste
initialisé par une caméra subjective qui mène naturellement
les protagonistes à leur but. De surcroît, le spectateur,
grâce à ce procédé cinématographique, demeure intégré au
cœur de la diégèse comme s’il était lui-même l’un des personnages:
il passe lui aussi du réel à l’idéalisme. La caméra poétique
de Tarkovski est prête à reconquérir le monde.
RECONSTRUIRE LE MONDE
CHARGE D’UN SENS QU’IL N’A PAS : L’IRREEL
Stalker
est une figure de l'irrationalité, il s'agit de l'affect
contre la règle, la sensation contre la signification, le
mystère contre le sens : « l’irréel ne peut
exprimer ce qui est, parce que son surmonde n’est pas un
surmonde de l’Être ; mais ce surmonde variable peut
transfigurer puissamment ce qui advient. » (8)
C’est pourquoi Tarkovski cherche à soulever le voile des
apparences pour accéder à une vérité supérieure, à un monde
au-delà du rationnel. Il est en quête d'un univers irréel
qui obéit à une logique poétique, mais pour cela il faut
détruire le monde de la raison beaucoup trop pascalien.
Le réalisateur affirmera : « certains disent que
la société doit être détruite pour être remplacée par quelque
chose de totalement nouveau et de plus juste... je ne sais
pas... je ne suis pas un destructeur. » (9) Même s'il
y a une volonté de changement Tarkovski considère que celui-ci
ne doit pas se faire à n'importe quel prix.