Un décor signifiant
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Pour recréer l’univers dans lequel évoluait
le peintre à l’époque de la réalisation de la célèbre toile,
la production du film a voulu retrouver avec fidélité les
décors flamands du XVIIème siècle, et ce par une observation
minutieuse d’un ensemble de toiles de l’époque. Cela donne
un univers éminemment pictural, inspiré par le mélange des
tons francs et pastels de la peinture flamande, de la netteté
de ses lignes, et du caractère massif et palpable des matières.
Ainsi renaît un univers unifié, dans lequel les personnages
circulent autour de l’opposition entre intérieur et extérieur,
le premier portant en lui l’ensemble des règles sociales dont
le famille Vermeer semble d’abord exemplaire, le second se
présentant comme un horizon grouillant de possibles. Griet
est l’un des rares personnages amenés à circuler régulièrement
entre les deux pôles ; elle leur apporte d’ailleurs par là
une plus grande unité.
Le chef décorateur, Ben Van Os, a voulu relier le canal qui
traverse Delft, la cour de la maison et les pièces du rez-de-chaussée
où évoluent l’essentiel de la maisonnée par « de grandes
portes s’ouvrant à la suite les unes des autres »
afin de « donner l’impression d’un vaste espace où il
est impossible pour Griet de trouver le moindre refuge ».
Ainsi se retrouve-t-elle incessamment sous le regard des autres,
ce qui la conduit rapidement à aiguiser sa propre attention
sur cette ville nouvelle pour elle. Les décors extérieurs
mettent en valeur la rudesse du quotidien des petites gens
dont fait partie Griet, par contraste avec les décors intérieurs
qui révèlent la prégnance de valeurs bourgeoises bien installées.
L’atelier occupant bien évidemment une place particulière,
seul espace propice au développement d’une vie intérieure.
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La subtilité des couleurs et des lumières
vient faire jouer à cet instrument qu’est le décor une mélodie
délicate, permettant d’accompagner les variations subreptices
de la relation entre le peintre, sa peinture et son modèle.
La musique d’Alexandre Desplat accompagne cette évolution
en créant une sorte d’univers intérieur, que la concision
des dialogues ne permet pas de nourrir. Cette sécheresse
du discours fait d’ailleurs partie intégrante du réalisme
du décor, où maîtres et valets ne sont pas censés entrer
en contact, où les décisions sont déjà en grande partie
la conséquence de valeurs irréfutables. C’est sur ce terreau
que vient s’enraciner le début de relation entre Vermeer
et la jeune servante Griet.
La narration laisse place
au drame
Le tournant du film s’opère
alors avec l’intervention du personnage du mécène Van Ruijven.
Sa passion pour la peinture mais surtout son obsession pour
les jeunes beautés viennent révéler aux yeux de la petite
famille le potentiel de séduction que porte en elle la jeune
Griet. Le film entre alors dans une seconde phase, où la
tension dramatique prend son essor. La discrétion des dialogues
de la première partie du film, la force des mouvements de
caméra qui donnent toute leur intensité aux échanges de
regards entre les personnages préparent le terrain au drame
du film. Le mépris des enfants pour Griet, la méfiance de
la maîtresse de maison et de sa mère - à l’avarice inébranlable
- et surtout la fascination du peintre à son égard apparaissent
dans toute leur profondeur, et même d’autant plus profondément
que rien n’insistait sur ces sentiments dans le début du
film. Seule la construction subtile de la narration amène
à la montée des sentiments. Progressivement, le peintre
et son modèle sont condamnés à être liés par un mensonge,
car la jalouse Madame Vermeer n’accepterait jamais de savoir
la jeune beauté prise pour muse par son mari. Le prochain
tableau de Vermeer fait déjà jaser tout Delft, étant donné
les ardeurs du mécène.