Mais la violence n’est pas la seule composante
submergeante dans l’entreprise démagogique de Mel Gibson :
la violence purement formelle et visuelle rivalise avec une
exposition désespérément manichéenne et sans finesse du propos.
D’où, avant même la diffusion du film, la polémique ravageuse
sur l’antisémitisme de l'œuvre. Affirmons tout de suite que
celle-ci n’est qu’à moitié fondée. S’il est évident que Mel
Gibson accuse directement l’instance religieuse juive d’avoir
condamné Jésus à la crucifixion, il ne faut pas oublier que
cette théorie du peuple déicide a perduré pendant près de
deux mille ans et que cette thèse, même si elle n’est plus
reconnue officiellement par la puissance pontificale, reste
toujours ancrée dans les esprits. Il me semble que ce n’est
pas en adhérant à une conception ancestrale que l’antisémitisme
du film peut être démontré, mais plutôt, une fois de plus,
dans la dimension purement formelle du film et dans la représentation
des rabbins juifs. Teigneux, haineux, manipulateurs ;
telle est l’image des représentants du judaïsme, le réalisateur
osant même dans un plan significatif mêler la figure androgyne
de Satan, errant au cœur d’une foule constituée de rabbins
juifs au regard fanatisé. L’analogie est plus que douteuse.
Quant au peuple juif, Mel Gibson accepte visiblement de l’humaniser
quelque peu ; un juif acceptant, par contrainte (tout
de même), d’aider Jésus à porter sa croix jusqu’à la colline
de la crucifixion. Deux images s’opposent donc à l’égard du
peuple juif : d’une part, celui d’un peuple foncièrement
haineux et fanatique, entièrement responsable de la mort du
Christ, et d’autre part, celle d’un peuple apte à la compassion.
Il semble alors que ce n’est pas le juif en tant que peuple
qui est accusé, mais le judaïsme en tant que religion déicide.
L’on ne peut définitivement trancher sur la question de l’antisémitisme
du film, quoique le réalisateur se permette des analogies
foncièrement douteuses et de mauvais goût pour quelque personne
faisant preuve d’un peu de culture et de recul. Effectivement,
les historiens ne peuvent encore statuer clairement sur la
théorie du peuple déicide, ce qui laisse à Mel Gibson l’agréable
bénéfice du doute, quoique cette théorie ancienne semble de
plus en plus réfutée par les historiens.
Mais le douteux propos s’étend également au peuple romain
et le manichéisme du film est tel que toute personne s’opposant
en mot ou en action au Christ se voit punie par l’instance
divine. Les Romains sont absolument hideux, stupides et sadiques,
à l’exception d’un Ponce Pilate étonnement consciencieux et
en proie au doute. Il s’oppose même à la condamnation du Christ
mais finit par céder devant la pression du peuple juif. Que
l’on se permette en conséquence de douter de la véracité historique
et du respect des Evangiles, alors que Mel Gibson prétendait
réaliser la passion la plus authentique jamais réalisée. Quant
à l’un des crucifiés accompagnant Jésus dans son dernier supplice :
l’inconnu crucifié affirme que Jésus n’est pas le messie...
Un corbeau envoyé visiblement par Dieu en personne lui ravage
le visage. L’image du Dieu vengeur est réellement présente
et témoigne d’une lecture parcellaire et excessivement passionnée
des Evangiles. Sans recul, sans finesse, Mel Gibson établit
une barrière réellement visible et caricaturale entre le Bien
et le Mal, le Mal étant toute forme de vie s’opposant à Jésus
et à son enseignement. Cette sensible absurdité du propos
peut alors devenir dangereuse puisque Mel Gibson, comme je
l’ai dit, semble s’inscrire dans une entreprise de démagogie
pure et dure. Définitivement, il y a des relents idéologiques
malsains dans La Passion de Mel Gibson. Message d’autant
plus malsain qu’il vise à être assimilé par la violence écrasante
du visuel.