
Nous demeurons plus réservés sur la qualité de l’œuvre. Certes
cette dernière est remplie de mérites, mais témoigne davantage
de l’excellente facture dont font preuve les plus brillants
films d’un studio prestigieux que du génie d’un homme surmontant
tous les obstacles mis sur son chemin par l’adversité.
A cet égard, la mise en scène se révèle d’un classicisme à toute
épreuve. Preminger et son chef opérateur Harry Stradling usent
de focales longues pour mettre en valeur leur couple vedette
dont les actions sont de temps à autres suivis par des mouvements
d’appareil très discrets. Nous avons là le prototype même de
la mise en scène invisible dont la modestie poursuit comme dessein
de renforcer par effet de contraste l’impact dramatique de ce
qui est présenté, l’intensité de l’action semblant s’imposer
par sa puissance intrinsèque sans aucun artifice technique.
Effectivement Preminger ne recherche à aucun moment la moindre
audace visuelle. Un résultat aussi heureux n’est cependant obtenu
que par un équilibre bien fragile d’une mise en scène harmonieuse,
qui risque pourtant de se situer souvent aux frontières de la
monotonie.
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Le mérite principal du film se situe
certainement ailleurs. Jean Simmons incarne en effet une des
héroïnes les plus complexes du film noir. Son personnage n’a
rien de monolithique et n’en finit pas d’évoluer et de s’enrichir
au fil de l’intrigue. Alors que le spectateur pouvait s’octroyer
le droit de la qualifier de garce intégrale et dérangée au
début du métrage, il est progressivement conduit à s’attendrir
sur le sort réservé à un être sensible mais damné.
La plastique de l’actrice constitue déjà un monde en soi :
des traits dont la grâce fragile est parfaitement associée
au malheur. Plus la beauté est parfaite, plus grandes sont
les probabilités qu’elle contient quelque chose d’irrémédiablement
brisé, par un paradoxe dont le caractère troublant s’est souvent
vérifié.
On devine immédiatement le caractère dérangé de Diana Tremayne,
dont les lambeaux d’intelligence ne sont guidés que par le
désir de tuer sa belle-mère. Diana se révèlera cependant bien
plus passionnante à suivre qu’une simple folle dont seul un
comportement irrationnel et diabolique peut-être attendu.
A cet égard le personnage de Jean Simmons se révèle bien plus
dense que celui tenu par exemple par Gene Tierney, autre beauté
fatale, dans Péché Mortel (John Stahl, 1945). Diana
est capable de remords sincères et conserve la faculté d’appréhender
rationnellement son erreur : sa belle-mère aimait véritablement
son père qui avait parfaitement droit au bonheur en refaisant
sa vie avec elle. Cependant la rationalité trop tardivement
installée ne pourra permettre au personnage de reprendre son
destin eu mains comme si les forces du mal ne pouvaient que
forcément s’imposer après avoir été libérés. C’est là le côté
fataliste du film qui appartient par là intégralement à l’univers
du film noir.
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