Annuaire boutique
Librairie Lis-Voir
PriceMinister
Amazon
Fnac

     

 

 

 

 

 
Sauvage Innocence (c) D.R.

A ces figures féminines auxquelles ont peut ajouter celle de Julia Faure, l’innocente de son dernier film, réincarnation tant que réinterprétation d’une icône perdue, se cognent quelques hommes, semblant fragiles et égarés, dont l’esprit s’est évaporé vers un monde imaginaire, là où les femmes pleurent dans la conscience d’un monde qu’elles savent trop imparfait.

Pierre Clémenti dans Le lit de la vierge incarne un Christ tombé du ciel, éternel enfant au père invisible, un Christ qui traverse la violence sans la comprendre et qui, loin de marcher sur l’eau préfère s’y enfoncer. Jean-Pierre Léaud, lui, est enfermé dans un microcosme où vie et mort sont inextricablement mêlées. La Concentration propose un jardin d’Eden infernal, où le lit conjugal immaculé jouxte un four crématoire, où une vie imaginaire côtoie la réalité barbare sans en avoir pleinement conscience. Quelques échappatoires verticales semblent possibles, mais l’espace-temps forme une boucle qui entraîne les personnages vers une fin inéluctable.

Comme un paradoxe dans l’univers de Garrel, où les acteurs sont le plus souvent mutiques ou murmurants, où les corps semblent toujours faire mine de s’évaporer dans le noir ou la lumière, Jean-Pierre Léaud réorganise l’espace de son rire tonitruant, hurlant sans complexe, dans un jeu toujours décalé, en Doinel plus cruel que jamais. Léaud a conservé l’innocence féroce de l’enfance. Lui qui semble être pleinement lucide face au monde barbare dans lequel il est enfermé se révèle en être totalement inconscient. S’il sait que l’enfant que berce Zouzou n’existe pas, il ne prendra conscience de la mort que lorsque celle-ci sera effective, lorsque le corps sera définitivement inanimé, sorti de ce four crématoire qu’il a lui-même actionné.

Toujours les corps évoluent dans ce qu’ils croient être un jeu de société, dans lequel ils imaginent qu’un recommencement est toujours possible, à l’image de Jean-Pierre Léaud qui n’a plus qu’à mourir une fois qu’il s’aperçoit que sa compagne de jeu ne se réveillera plus. Seul, la vie n’est plus possible, et c’est peut-être ce que les figures isolées de Garrel nous révèlent, avec leurs visages opaques.

Cet éternel recommencement, cette boucle infinie dans le temps et dans l’espace, Garrel la matérialise par des travellings toujours étonnants, dans un flottement qui s’oppose au monde cruellement palpable qui fait sien l’inquiétante étrangeté. Faisant fi de toutes les barrières physiques (forêt, route, cours d’eau…), la caméra se transporte pour nous faire entrevoir l’état d’un monde définitivement clos, et pourtant infini. Tout comme la pièce fermée de La Concentration, dans lequel on passe directement de la chambre à coucher au four crématoire, le monde est un espace concentrationnaire qui n’a d’autre réalité que celle qu’on veut bien lui donner, un espace qui peut prendre la taille d’une immensité comme celle d’un visage, qui peut allier le terre-à-terre à l’imaginaire, comme le monde du Révélateur, où l’enfant est au centre de tout, et qui semble pouvoir actionner comme des pantins les corps de ses parents. S’échapper de ce qui pourrait être un camp de concentration se transforme en jeu, tout comme l’acte même de filmer qui s’insère dans la fiction (la caméra se déplace à la demande du petit garçon caché dans les herbes hautes).